UN OBJET, UNE HISTOIRE

Mandibule droite de lapin (Oryctolagus cuniculus)

Mandibule droite de lapin (Oryctolagus cuniculus) portant p/3-p/4, m/1 et m/2 (de la troisième prémolaire à la seconde molaire) découverte dans l’ensemble supérieur de la grotte du Lazaret (- 145 000 à - 120 000 ans environ).

Le lapin : une espèce largement représentée dans les gisements préhistoriques en Europe occidentale

Depuis les premières formes fossiles du lapin, qui sont connues en Espagne et remontent à la fin du Pliocène (3,5 millions d’années environ), l’histoire paléontologique de cette espèce est fortement liée aux régions méditerranéennes de l’Europe occidentale. Ainsi, dès leur arrivée en Europe, il y a un peu plus de 1,5 million d’années, les hommes préhistoriques ont été en relation avec ce petit mammifère, représenté en abondance dans l’environnement en raison de sa singulière aptitude à pouvoir se reproduire de façon intensive lorsque les conditions de son environnement lui sont favorables.

Les restes osseux et dentaires de lapin sont parfois collectés en très grand nombre dans les sites préhistoriques européens, notamment dans les sites en grotte.

Depuis une trentaine d’années, les paléontologues européens tentent de comprendre l’origine de ces accumulations d’éléments anatomiques de lapins de garenne dans les cavités préhistoriques. Ils peuvent provenir de lapins morts naturellement dans une grotte ou y avoir été apportés par divers prédateurs friands de ce gibier (rapaces diurnes, rapaces nocturnes ou carnivores). Ils peuvent également résulter d’une activité de chasse au petit gibier de la part des hommes préhistoriques.

Deux écoles scientifiques s’affrontent sur le thème de la prédation du lapin au cours des temps préhistoriques. L’une prône que seuls les hommes modernes (Homo sapiens, notre espèce), à la fin du Paléolithique supérieur, il y a un peu moins de 20 000 ans, maîtrisaient suffisamment bien les techniques de chasse pour envisager d’intégrer le petit gibier dans leur régime alimentaire. L’autre suggère que les aptitudes cognitives des hommes de Néandertal (Homo neanderthalensis), voire de leurs ancêtres, leur permettaient d’élargir le panel des espèces chassées aux proies de petite taille comme le lapin.

 

Les lapins de la grotte du Lazaret

La réalité du terrain est souvent complexe, comme nous le rappellent les dizaines de milliers de restes osseux et dentaires de lapin exhumés tout au long du remplissage de la grotte du Lazaret, datant de -190 000 à -120 000 ans.

La présence de quelques squelettes de lapin bien conservés et dont les ossements sont encore reliés les uns aux autres suggère qu’une partie de cette accumulation est susceptible de provenir d’animaux morts naturellement dans le site. La proportion et l’intensité des traces de digestion (altérations particulières liés aux sucs gastriques des prédateurs) observées sur les dents de lapin atteste que des rapaces nocturnes – dont on sait qu’ils ont niché dans la grotte de façon continue en l’absence de l’Homme – ont déposé nombre de carcasses de ces petits mammifères dans la cavité. La contribution des carnivores à la formation de cette accumulation est également suggérée par les traces de dents qu’ils ont laissés sur certains ossements de lapin.

Enfin, la présence conjuguée de fractures particulières observées sur les os des membres, d’une grande quantité d’ossements brûlés et de quelques stries de découpe permet de penser que les hommes préhistoriques ont également chassé et consommé une part des lapins retrouvés dans la grotte du Lazaret.

Il semble donc que l’homme du Lazaret pratiquait déjà la chasse au petit gibier, qui devait constituer un complément alimentaire occasionnel, voire non négligeable.