1758 Les tribulations d’un noble provençal à la cour de France

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Le comte François de Théas a laissé dans ses écrits inédits un incomparable témoignage sur son temps. Désireux d’obtenir un poste au fort d’Antibes, il tente d’être introduit auprès de personnes influentes

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1.            Le 10 mars 1758

2.            j’ay vu Mr de Bourcet et luy ai parlé de mon affaire. Il

3.            me dit en avoir parlé hier à d’Antoine qui luy dit quil ne

4.            croyoit pas quelle se fit. Je luy demanday sil connaissoit

5.            Mr le cte de Noailles asses pour luy parler de moy. Il me

6.            repondit que Mr le Cte de Noailles le connaissoit et laimoit

7.            beaucoup, mais qu’il ne pouvoit rien obtenir pour luy meme.

8.            Je vis Mr d’Antoine : il me parut que les conversations

9.            quil avoit eu au sujet de mon affaire l’avoient fait

10.          changer d’idée ; il nen avoit pas vu d’abord les difficultés

11.          reelles. La 1ere qui se presenta à luy, ce fut de faire parler Me

12.          Infante, dans cette 2e reprise il me fit des difficultés

13.          sur la double grace que postuloit Mr de Sade

14.          et il reprit celle de l’interesser la dedans assez

15.          pour qu’elle cherchat à vaincre les obstacles. Mr de Sade

16.          netant pas plus connu de Me Infante, et plus

17.          en droit de reclamer ses bontes que tous les commandans

18.          de place qui s’étoient trouvez sur son chemin.

19.          Je rencontray Mr le Cte de Noailles a la galerie

 

Le comte François de Théas a laissé dans ses écrits inédits un incomparable témoignage sur son temps.

Aux textes philosophiques, historiques, politiques ou militaires s’ajoutent ses réflexions désabusées sur la cour de Versailles. 
Dans une série de lettres, il dénonce la vie « bien vuide » que mènent les grands, contraints de se montrer dans une infinité d’endroits, de courir pour ne pas manquer son monde : « Comme il y en a tant à voir, la liste n’est pas coulée à fond qu’il est temps de recommencer. On veut être au Lever , au Dîner, au Débotté, à l’Ordre ». Train brillant, fêtes et jeu endettent les courtisans mais il faut être à la cour pour obtenir des faveurs et des places. Le comte de Thorenc fait lui aussi partie de ces nobles de province qui cherchent à approcher les puissants pour faire carrière.

Désireux d’obtenir un poste au fort d’Antibes, il tente d’être introduit auprès des maréchaux comme Castries, Maillebois et Belle Isle qui vient d’être nommé secrétaire d’Etat à la guerre. Le hasard place sur son chemin Madame de Pompadour, la toute puissante maîtresse du roi.

La suite de la lettre poursuit :

« tandis que je cherchais d’Antoine pour laller chercher chez luy. Je le priay de trouver bon que je profitasse du moment pour lui rendre une lettre de Mr de Sade. Il la demanda, la lut en chemin faisant et de la première lecture il sentit les difficultés de cette affaire. Il massura qu’elle netoit point faisable dans ce temps-cy attendu que tout le monde meritoit et quil y avoit nombre de lieutenants colonels qui demandoient et que ce seroit les mettre en droit de crier si jobtenais une place quils s’estimeroient heureux d’avoir. En temps de paix, dit-il, ces sortes de choses là sont faisables, mais il n’y faut pas songer a present. Je lui dis que Mr de Sade se flattoit de son appuy aupres de Me Infante ; il me répondit quil en parleroit à Mr le marechal de Belisle. Je revins à la charge, il me fit la meme reponse. Lorsque j’ajoutay enfin que Me Infante étoit la plus sûre voie de reussir, il me dit quil luy en parleroit. Le 11 mars Mr de Bompar dîna chez le maréchal, Mr de Raymond aussi. J’eus soin de m’y rendre dabord appres le diner. Je les y trouvay. Mr de Bompar dit au marechal que j’étais son proche parent et que javais une grace a lui demander. Mr de Raymond vint à l’appuy de cela et Mr de Maillebois et le marechal de Castries se joignirent aux deux premiers et parlèrent de moy à Mr le marechal. Je lui presentay les lettres de Mr de Marcieu et de Mr de Sade, il ne les lut pas et me dit quil lui falloit encore trois semaines et quil verroit ensuite ce quil pourroit faire pour moy. Je remerciay Mr de Maillebois et M. de Castries. Le 16 me promenant avec Mr et Madame de Bourcet sur la terrasse du château du coté de la chapelle, Madame Bourcet vit le carrosse de Madame de Pompadour, elle voulut la voir partir et elle sareta sur la terrasse. Peu appres Mme de Pompadour sort de ches elle et vient sy promener. Apercevant Mr Bourcet, elle lapelle et luy demande avec qui il se promene. Il nomme Mme Bourcet, elle veut la voir, il lappelle. Ne vous trouvez-vous pas bien heureuse, Madame, lui dit-elle, d’avoir un mary dun merite aussi distingué ; il a de bons amis. Je le trouverais bien heureux, Madame, répondit Madame Bourcet, sil pouvoit se flatter que vous fussiez du nombre. Madame de Pompadour voulut savoir de Mr Bourcet qui jetais. Il luy dit cest un gentilhomme de Provence a la tete du Regiment de Vermandois, qui est icy pour deux objets. Le premier est detre placé à Antibes ou il voudroit remplacer Mr de Sade son parent. Comme il a des terres dans ce pais la et quil connoit bien la frontiere il conviendroit fort dans cette place la. Madame la marquise répondit  mais il est bien jeune pour etre placé. Alors Mr Bourcet dit  son second objet est de faire la campagne dans letat major de l’armée, sil ne reussit pas dans le premier. Me la marquise dit de larmée de Soubise sans doute  Oui, Madame. La conversation finit la. Elle fit une reverence à Me et Mr Bourcet et j’eus une petite inclination de tete. Le 2 avril je rencontray Mg leveque d’Orleans. Monseigneur, j’ai pris la liberté de vous écrire, ne pensant pas avoir lhonneur de vous voir. Jay vu votre lettre, me dit-il. Nay-je pas été trop impatient, ajoutay-je. Non, dit-il. Oseray-je me flatter que vous voudrez bien parler à Mr le marechal de Belisle de laffaire qui fait le sujet de la lettre ? il me dit Je luy en parleray quand je le verray ».

 

Source : Arch. dép. Alpes-Maritimes, 25 J 153. Édité dans J.-B. Lacroix dir., Trésors d’archives. Mille ans d’histoire, Conseil général des Alpes-Maritimes.