Des instrumens d'agriculture, des Alpes-Maritimes, et de leur usages

Des instruments d’agriculture, des Alpes-Maritimes, et de leurs usages. Travaux de l’agriculture. Des engrais en usage dans le département. Temps des labours, des semailles, de la floraison, de la maturité et des récoltes.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

Des instrumens d’agriculture, des Alpes-Maritimes, et de leur usages.

La charrue

La charrue qui est en usage dans tout le département à quelques différences près, très légères dans certaines communes, est une perche cilindrique de la longueur de 2 mètres, 6 200 dix milimètres, courbée à l’extrémité inférieure, appellée en langue du pays araire, laquelle est attachée par l’extrémité de sa courbure à quatre pièces qui se démontent, nommées, en langue du pays, la steva, l’aramou, la tendia, et la reya, ou le soc ; ces cinq pièces constituent la charrue proprement dite, nommée araire en général.

L’araire est percé de trois trous, l’un après l’autre à son extrémité supérieure, d’un autre trou au commencement de la courbure, et à son extrémité inférieure, il a un trou oblong, suffisant pour livrer passage à la queue de la reya ou soc, et la partie inférieure de la steva.

La steva est un manche de bois courbé en S, servant au laboureur pour conduire sa charrue, de la longueur d’un mètre environ, (c’est à dire à la hauteur de sa main) lequel passe par le trou oblong de l’araire ou perche et va appuier par son extrémité inférieure sur la queue du soc, de sorte que la main du laboureur posée sur l’extrémité supérieure y pèse dessus.

L’aramou est une pièce de bois triangulaire plus large que le soc, de l’épaisseur de trois travers de doigts, de la longueur d’un demi mètre, entaillée à sa base pour emboîter l’extrémité de la steva soutenant la queue de la reya ainsi que la steva.

La tendia est un fer fourchu à son extrémité inférieure, de la longueur d’un peu moins d’un demi mètre, dont le manche s’emboite dans le trou qui est au commencement de la courbure de la perche, où il est retenu par un petit fer, en forme de demi cercle, qui le traverse : placé perpendiculairement sur l’aramou, il le serre et le maintient en place, au moyen de ses deux fourches dont les pointes le dépassent, et sont elles mêmes traversées par un fer droit qu’on passe par les trous dont elles sont munies, ce qui donne à toute la machine, la plus grande solidité.

La reya ou soc est l’instrument de fer trempé en acier qui ouvre et fend la terre. Il a la forme d’un fer de pique dont la queue serait très longue ; cette queue est recourbée à son extrémité pour rencontrer le trou oblong de la perche et s’ajuster avec l’aramou ; la longueur totale du soc, est de ¾ de mètre, il est articulé de manière, à ce qu’on puisse le baisser ou le relever suivant le besoin. La tendia, comme l’on voit, fait fonction d’une espéce de vis qui donne de la stabilité à toute la machine. Le tout ensemble à fort peu de pesanteur.

Les trois trous de l’extrémité supérieur de la perche s’appellent lus poncs, les points, parce qu’on y passe un long clou pour retenir l’anneau qui tient au joug et que l’on met au premier, au second et au troisième trou, suivant qu’il convient de donner plus ou moins de longueur à la perche.

Le joug est fait ici comme partout ailleurs où les bœufs labourent par le cou ; de chaque côté, il a deux éclats de bois dits en langue du pays stécas, au milieu desquels les bœufs passent le cou et qu’on lie par dessous avec une corde. Au milieu du joug est un anneau attaché avec une courroie de peau de vache ; chez quelques uns cet anneau est de fer, mais on préfère de l’avoir en bois parce qu’il use moins l’extrémité de la perche. Pour cela on courbe de bonne heure un jeune arbre de bois dur, de manière que le bout de la branche se lie avec le tronc et parvient à former un anneau parfait : on passe la pointe de l’araire ou perche, dans cet anneau, et on la retient avec le grand clou amovible, qu’on met tantôt au premier, tantôt au second, et tantôt au troisième point, selon que le terrain est large ou étroit.

Ce mode de charrue est vraiment propre du département depuis un tems immémorial. On croit même que c’est là la véritable charrue des anciens romains. La réunion de ce pays au Piémont, où les instrumens d’agriculture sont très perfectionnés, n’y avait rien changé durant quatre siècles. Les charrues du Piémont, indépendamment d’être plus fortes, sont construites d’une manière toute différente, le manche qui sert de timon au laboureur est fort long et horizontal au lieu d’être placé perpendiculairement comme ici. A la place de l’aramou, lequel sert à étendre de part et d’autre la terre que le soc a coupé ; elles ont une espèce d’oreille en bois laquelle n’est que d’un coté, et n’étand par conséquent la terre que d’un coté seul, pour l’étendre de l’autre coté au retour ; le soc est beaucoup plus épais surmonté d’une épine qui l’aide singulièrement à couper ; au besoin on y ajuste perpendiculairement un tranchant triangulaire qui coupe les mottes et la terre trop dure, appellé coutre en piémontais.

Sans prétendre transporter cette charrue dans les Alpes-Maritimes dont les terres sont infiniment moins fortes et moins profondes qu’en Piémont, sauf dans les plaines de Nice et de Sospello où elle pourrait également convenir, nous dirons, d’après l’avis des meilleurs agriculteurs, qu’on a besoin dans ce département de varier la force et la forme des charrues, suivant la qualité des terres, et que les charrues actuelles ne suffisent pas dans tous les cas. Il est de fait que la profondeur du sillon qu’elles creusent n’est que de 37 centimètres et demi (un pan et demi de Nice) ; or quoique suffisante dans les montagnes, où il y a peu de terre, elle ne l’est pas dans les bas fonds, où il y en a beaucoup, ce qui fait que n’étant pas suffisamment exposée à l’action de l’air elle est peu productive, parce qu’elle est trop crue, pour me servir de leur expression.
En second lieu, il est des terres, comme les terres gipseuses et les terres argileuses rouges, qui font croute. Lorsque quelques jours de sécheresse ont succédé aux pluies elles sont alors très dificiles à couper avec le soc de ces charrues, or, on y parviendrait facilement si on y ajoutait le contre des charrues piémontaises.

Il est encore d’autres corrections dont je ne suis pas en état de m’occuper mais qui fixeront quelques jours l’attention de la société d’agriculture de ce département, dont il eut été à désirer que l’institution eut daté depuis un grand nombre d’années.

Avant de semer, la terre est labourée deux fois (et même trois, par quelques particuliers qui peuvent le faire, mais en général, ce n’est que deux) : dans le premier labour, qu’on nomme garacciar, le soc est arrangé de manière qu’il puisse creuser, à la profondeur que j’ai dit ; dans le second labour, qu’on nomme binar, on creuse beaucoup moins, et pour cela, on baisse ou on relève le soc très souvent. Quelque soin qu’on mette à ces labours, la terre ne produit jamais autant qu’à Nice, où on ne laboure qu’à bras, mais plus profondément ; ce qui, indépendamment des engrais, a été reconnu dans ce pays une des principales causes de la fertilité des terres par des propriétaires qui en ont fait l’expérience dans des champs situés hors de la campagne de Nice.

Des instruments à bras, en particulier du magaou

Parmi les instruments à bras, dont on se sert dans l’agriculture, à la place de la charrue, et qui tous ont la figure de la pioche, le magaou tient le premier rang.

On connaît sous ce nom, un instrument en forme de pioche, dont le manche placé obliquement est fort court, et fait avec le fer un peu moins de la moitié d’un angle droit. Le fer est un carré long, large, recourbé et divisé à son extrémité inférieure en deux pointes. Voici la mesure de ses dimensions qui ne varient jamais.

Longueur du manche 775 millimètres
Largeur du fer 152
Longueur totale du fer 350
Longueur des deux pointes 235
Courbure du fer 17

Longueur de la ligne droite tirée de
l’extrémité des pointes jusqu’au manche 300 millimètres
Plus grande épaisseur du fer 15
Poids total du magaou 4 kilogrammes environ
Prix ordinaire 12 francs

On laboure avec le magaou toutes les terres et en particulier les terres fortes. On creuse lorsqu’on laboure bien jusqu’à 75 centimètres : on voit les files de laboureurs debout, s’élancer pour le jetter à terre tous ensembles et se relever de même, retirant l’instrument qui a détaché la terre, de toute sa courbure, par l’application de la main vers l’extrémité supérieure du manche, et en la ramenant vers l’inférieure, ce qui se fait avec une grande célérité.

La sappa

Le second instrument s’appelle la sappa aussi espèce de pioche. Sa forme est à peu près la même que celle du précédent ; même longueur du manche, même angle, même distance de l’extrémité inférieure du fer au point correspondant du manche. Mais le fer qui a la même forme en est plus large, moins long, moins épais, plus courbé et son extrémité inférieure au lieu d’être divisée en pointes, est seulement échancrée.

Longueur du fer de la sappa 340 millimètres
Largeur 185
Profondeur de l’échancrure 80
Epaisseur du fer partout 5
Courbures 20
Pesanteur 3 kilogrammes environ (10 livres de Nice)
Prix 12 francs

On se sert quelquefois de ces instruments pour le premier labour dans les terres infiniment légères, cependant cela est rare ; son usage le plus commun est d’être employé après le labour fait avec le magaou, à accommoder le terrain, et après les semailles, ainsi que dans tous les cas ou il s’agit de diviser et d’étendre la terre qui a été labourée.

La picca

Après la sappa, vient la picca. On appelle de ce nom une espèce de pioche, dont le manche a la même longueur et la même direction que dans les deux premières, mais ou le fer est triangulaire, et se terminant par un sommet obtus, sans pointes et sans échancrures.

Longueur du fer de la picca 290 millimètres
Largeur de la base du triangle 190
Largeur de la pointe 45
Courbure du fer 16
Epaisseur du milieu 7
Epaisseur des extrémités 5
Poids 2 kilogrammes environ (7 livres du pays)
Prix 6 francs

On se sert de cet instrument pour défricher et labourer les terres qui sont beaucoup pierreuses, pour travailler aux routes et dans la maçonnerie pour démolir les murailles.

Le pic

Lorsqu’il s’agit de remuer la terre dans les interstices des rochers et de travailler dans des terrains où il y a des grosses pierres on se sert d’un instrument qui a la même forme que la picca, mais dont le fer est plus étroit, avec l’extrémité inférieure plus pointue, auquel on donne le nom de pic. Cet instrument sert également et plus souvent encore que le précédent, à la démolition des murailles et à la réparation des chemins. On en a du reste de deux espèces, un qui n’a que la pointe, et un autre qui a une tête, pour casser les pierres lorsqu’il s’agit de ces derniers ouvrages.
Tous ces instruments faits uniquement pour labourer la terre, ont un manche très court et d’une obliquité telle qu’elle diminue encore beaucoup l’angle que le corps du laboureur fait avec la terre pour les mettre en usage sans compter la grande dextérité qu’il faut avoir pour ne pas blesser la partie antérieure des jambes, en se servant de ces instruments. On demande s’il ne conviendrait pas, 1èrement d’allonger un peu plus ce manche, 2èmement d’agrandir l’angle qu’il forme avec le fer. Il semblerait qu’un levier plus long devrait faire plus de force, avec moins de peine ; cependant le paysan prétend que son travail en irait moins bien, et c’est à l’expérience, qu’on n’a pas encore tentée, à décider cette question.

Ce qui m’a le plus surpris, c’est de voir que les paysans de la campagne de Nice conservent leur corps très droits jusqu’à la dernière vieillesse, tandis que ceux de Marseille qui font à peu près les mêmes travaux deviennent courbés depuis l’âge de 50 ans. Je ne puis attribuer cette différence qu’à la variété du climat, lequel est beaucoup plus sec et plus vif dans la campagne de Marseille que dans celle de Nice, laquelle a l’avantage d’avoir de l’eau de toute part et une rosée abondante durant la nuit, ce qui forme une atmosphère plus humide, qui conserve toute leur souplesse aux coussinets ligamenteux de l’épine du dos.

Je dois placer au second rang des instruments d’agriculture, ceux qui sont nécessaires pour la construction des murs à secs, appellés bergies en langue du pays, lesquels, comme on l’a déjà dit, sont indispensables pour soutenir les terres, et former les étages dont les collines et montagnes sont garnies. Ces instruments sont le pal, ou levier, servant à planter les échalats dans les vignes, et à remuer des pierres, pesant 12 kilogrammes et demi (40 livres), et du prix de 9 francs, un gros marteau, prix 3 francs, une masse de fer prix 6 francs.

Ces berges ou murs à sec sont extrêmement couteux ; le prix commun de leur construction est de 3 francs la canne carrée, jusqu’à 4 francs et 10 sous, un franc 50 centimes par mètre carré, et jusqu’à 2 francs 25 centimes, et comme tous les ans il faut en relever quelqu’un, ces frais ruinent l’agriculteur.

Instruments pour les arbres

Une grande hache, appellée destrau, servant à fendre du gros bois, qui a le défaut d’avoir le taillant un peu trop long, prix 7 francs.

Une petite hache, nommée destralou dont on se sert, à une seule main pour élaguer les oliviers et autres arbres ; prix 3 francs 50 centimes.

Une serpette fixe sur son manche, appellée poïron, tranchante dans la partie convexe comme dans la concave, dont on se sert pour tailler la vigne, élaguer des arbres et faire du bois ; on emploie le tranchant du dos lorsqu’il faut faire plus de force, prix 3 francs.

Une petite scie, à un manche, dont on se sert aussi dans l’élaguement des arbres pour couper les branches que la petite hache et la serpette ne peuvent abattre commodément, prix 2 francs.

Instruments de fauchage

 

La faucille, ou le volame, dont on se sert pour les moissons, qui se font en coupant les épis avec environ un demi mètre de paille, prix 3 francs.

La faux, ou dail, servant à faucher les fourrages et les pailles, après avoir moissonné les épis, prix 9 francs.

Le gancio, qui est un crochet de fer, emmanché, sans tranchant, rond, et de la forme d’une faucille, mais plus petit, dont on se sert pour faire les fagots de fourrage dans les prairies, attirant le foin à soi, et en fesant des tas de demie charge de poids, qu’on lie avec de l’osier, prix 1 franc 50 centimes.

Travaux de l’agriculture, avec le prix des journées

 

Travaux pour les blés, dans l’intérieur du département,

avec les prix des journées de 1790 et de l’an X

 

En parlant de la charrue, j’ai déjà fait mention des deux principaux travaux usités pour le labour des terres dans tout le département, sauf dans la campagne de Nice et sur la côte maritime ; ces travaux sont préparatoires à la semence, qui a lieu ordinairement au printemps, ou en automne plus tôt ou plus tard, suivant les grains et les pays, comme nous le verrons au chapitre suivant. En même temps qu’on sème on fume aussi, si c’est l’année de fumer ; après quoi on recouvre. On n’abandonne pas la semence à elle-même mais lorsque la germe est sorti de terre, on vient purger le blé des petites herbes saillantes, et l’on répète encore deux fois cette opération avant la moisson, en grattant la terre avec la picca, pour déraciner les mauvaises herbes déjà trop fortes. Ainsi, avant d’être coupé, le blé a couté six travaux.

Prix des journées, dans l’intérieur du département

{ en 1790 3 francs }
des bœufs { } nourris l’homme et les bœufs
{ en l’an X 4 }

{ en 1790 35 centimes, et nourri, en été. 50 centimes le dîner en hiver
de journalier {
{ en l’an X 75 centimes et nourri, été et hiver en montagne en 1790 50 centimes et nourri
en l’an X 1 franc 20 centimes et nourri

Dans quelques endroits, le prix en argent est le même, mais la nourriture étant du double plus chère en fait l’augmentation.

 

Travaux pour les blés dans la campagne de Nice,

avec les prix comme dessus

 

Dans la campagne de Nice, on ne fait que deux travaux avant la moisson, celui du labour et celui des semences. Il est à remarquer qu’à Nice, et dans une grande partie du département, on est en usage d’alterner les légumes avec le blé, de manière que dans un champs ou dans une bande de champs, on met une année des légumes, et l’autre année du froment ; si c’est l’année qu’on doit semer des légumes, des fèves, par exemple, qui sont le plus usitées à Nice, on met du fumier, en même temps qu’on laboure ; si, au contraire, la récolte a été de fèves et qu’on doive semer du froment, on ne met point d’engrais ni dans le temps du labour, ni dans celui des semences. Dans quelques vallées, comme dans celle de la Visubie, à Roccabiliéra, ou l’on s’est mis à former quelques prairies artificielles, à cause de la perte des prés naturels emportés par la rivière, on alterne souvent la culture du treffle avec celle du froment, et l’on a expérimenté que cette alternative est infiniment favorable à la production du blé, tellement qu’alors il produit beaucoup plus sans engrais, que lorsqu’il est semé immédiatement, avec l’engrais. Dans beaucoup de communes, où la misère a enlevé tous tes moyens d’engrais, on laboure et on sème, blé et légumes, sans engrais, ce qui fait qu’à peine, souvent, double-t-on la semence.

Lorsqu’on sème, un homme rompt les mottes, après quoi, on jette la semence, et on la recouvre.
La nécessité oblige dans beaucoup de communes à semer dans les champs d’oliviers, lesquels pourtant ne peuvent produire que de l’orge ; et comme ce grain est semé très tard, et que les pluies entraîneraient l’engrais, si on le mettait en même temps, ce n’est que lorsque le grain est sorti et qu’il est déjà un peu grand, qu’on répend le fumier dans le champs ce qui ajoute un travail de plus pour ce genre de grain.

Moisson

La moisson, comme on a déjà pu le voir, à l’article des instruments, se fait, pour ainsi dire, en deux temps ; on commence d’abord par couper les épis, et ensuite, à tems et loisir, on fauche le chaume. Les épis portés sur l’aire, sont d’abord battus avec une perche ou un fléau, et ensuite foulés par les mulets comme dans toute la Provence.

Prix des journées du { en 1790, depuis 1 franc jusqu’à 2
journalier à Nice { en l’an X, depuis 2 francs jusqu’à 3 francs 50 centimes

Ordinairement, une sétérée de terre de bonne qualité, 15 perches 44 mètre ½ de terre, emploit pour être labourée à la profondeur de 60 centimètres, 10 journées d’homme qui à 2 francs la journée pour le moins, font 20 francs.

Corrections à faire à la culture du blé,
dans la campagne de Nice

On peut reprocher aux cultivateurs de Nice :

1èrement de négliger de sarcler plusieurs fois dans l’année les mauvaises herbes qui croissent en abondance parmi le blé, ce qui en diminue considérablement la quantité.

2èmement de fumer en même temps qu’ils labourent, il en résulte que l’engrais s’évapore, et que les pluies d’automne l’entrainent à pure perte pour le champ, tandis que si l’on fumait en même temps qu’on sème, comme cela se pratique dans le reste du département, le fumier aurait conservé toute sa force, et ne serait plus entrainé par les pluies, puisque ce n’est qu’après cette époque qu’on commence à semer.

On se plaint, avec juste raison de la longueur des travaux pour le labour, et l’on demande si on ne pourrait pas substituer les charrues du Piémont au magaou, ce qui serait certainement plus expéditif, et peut être plus avantageux pour la fertilité des temps : à cela, les cultivateurs répondent que les champs contenant tous plus ou moins d’oliviers dont les racines rampantes s’étendent très loin la charrue leur nuirait au lieu qu’on les évite par le labour à bras ce qui est très vrai, des bouviers adroits sauraient sans doute parer à cet inconvénient, cependant il faut convenir qu’il aurait besoin de la pratique d’une génération entière avant que le pays niçard sut tirer de la charrue tout le parti qu’il retire de son magaou.

Travaux de la vigne

C’est en brumaire qu’on commence à planter la vigne, jusqu’à tout floréal. On plante des marcotes qui ayant déjà été une année ou deux en pépinières ont acquis quelques racines, ces marcotes sont nommés en langue du pays, mayou ou embarbat. On plante aussi de simples boutures sans racines, qu’on met à part en taillant la vigne, et qu’on nomme traglie. Cette pratique étant récente, on attend que l’expérience justifie les données de la théorie, avant de prononcer définitivement si elle mérite la préférence sur les marcotes à racines.

Pour faire une plantation de vignes, soit en terrain labouré, soit en friche, on ouvre, en commençant par le bas du terrain qu’on a destiné à être complanté, un fossez en ligne directe, en suivant la sinuosité de la colline dans toute la longueur de ce terrain ; ce fossez est de la profondeur de 700 jusqu’à 775 millimètres au plus, suivant la nature du terrain ; on y plante les marcotes, en ligne, à la distance l’une de l’autre de 258 millimètres et à la profondeur du fossez, sur le dur (pratique condamnée par divers agriculteurs). On couvre les racines de terre, on y met un peu de fumier et ensuite des fagots de broussailles et de la terre par dessus ; la plantation finie, dans cette ligne, plusieurs hommes de front lui tournant le dos, défrichent en remontant tout le terrain, à la même profondeur de 700 à 775 millimètres, et d’un bout à l’autre de la plantation, jusqu’à la sommité du terrain qu’on veut planter, posant d’autres lignes de marcotes, de la même manière que ci-dessus, à la distance depuis 2 jusqu’à 6 mètres entre chaque plantation.

En même temps qu’on plante les vignes, on plante aussi des marcotes de figuier, d’olivier, et d’autres fruits.

Dans les intervalles des files, si le terrain en est susceptible, on sème, toutes les années alternativement, une planche en forment ou orge, et l’autre en fève si pourtant on n’en laisse pas une en jachère.

Si le terrain est trop en pente, avant de planter, on divise en étages soutenus par les murs à sec dont il a été question ci-devant.

Les autres travaux de la vigne se font ici, à peu près dans le même tems et de la même manière que dans les autres pays. On arme les vignes avec des échalas de pin ou de saule, et avec des cannes, faute d’autres bois, on lie la vigne avec des branches de genêts, à défaut d’ozier qui est infiniment rare ; le moindre souffle de vent brise ces liens lorsqu’ils sont secs et la vigne tombe.
Quelque chaud que soit le climat, la vigne ne peut pas se passer d’échallas, à cause de la fréquence des brouillards qui, s’ils rencontraient le raisin à terre, l’empécheraient de mûrir, et le feraient pourrir ; aussi estime-t-on beaucoup, et conserve-t-on précieusement les petits bouquets de pins, à coté des vignes dont les branches servent non seulement aux échallas, mais encore aux plantations.

La vigne bien plantée dans un bon terrain et parfaitement soignée est vigoureuse pendant 20 ans. En général, dans ce pays, elle est vieille à 25 ans et doit être renouvelée. Dans les terrains légers et peu profonds elle vieillit beaucoup plus tôt et doit être renouvelée tous les 15 ans ; telles sont les vignes d’Aspremont, terroir qui fournir un excellent vin, mais où les souches sont presque à fleur de terre.

La manière avec laquelle les habitants de cette dernière commune traitent leurs vignes est digne de remarque : comme d’une part la colline destinée aux vignobles est trop perpendiculaire pour y construire des murs de retiens, et que de l’autre, ils ont très peu d’engrais, ils alternent la culture de la vigne avec celle du pin maritime, qu’ils sèment, en secouant le fruit de cet arbre. Le pin reste environ 25 ans sur pied, et préserve la terre des éboulements, tandis que sa feuille tombe chaque année, fait du terreau en pourrissant. La 25ème année, on arrache ces arbres, et on plante la vigne pour les replanter de nouveau au bout de quinze ans. Par là un particulier a le plaisir de planter trois fois sa vigne, dans une vie de 60 ans.

La vigne ne donne une médiocre récolte que cinq ans après avoir été planté de marcotes.
Prix d’une plantation de 100 marcotes :

Les marcotes 3 francs }
Pour les plantes 5 }
Pour fumier 14 } Total 33 francs
Pour les bois, 6 charges 6 }
Pour les armes 5 }

En général, la vigne coûte beaucoup, et ne rend pas en proportion des autres départements. Il est même des communes où elle donne si peu et de si mauvais vin, et qu’on ne la conserve que pour le raisin et pour s’occuper durant l’hiver, temps où les autres travaux s’y trouvent suspendus. Nous réservons pour le chapitre 4 de parler de ses produits et des différentes qualités de raisin cultivé dans le pays.

Je rechercherai dans un autre chapitre si cette culture usitée est un obstacle aux productions abondantes de la vigne et de sa conservation. D’ailleurs on pourra faire des comparaisons au bout de quelques années, au moyen des expériences du citoyen Cougnet imprimeur et libraire, à Nice, qui vient de mettre en pratique dans une de ses propriétés les principes des citoyens Chaptal et Parmentier sur la culture de la vigne, lesquels seront servis de point en point.

J’ai déjà parlé d’ailleurs des praires artificielles. Elles n’existent pas à Nice où l’on a d’autres moyens de faire de l’herbe et où il y a d’ailleurs les prez naturels mais dans plusieurs vallées du département, où les rivières et torrens ont emporté les prez, quelques habitants ont senti le besoin d’y suppléer, en mettant une partie de leurs champs en praires artificielles, où ils sèment uniquement du treffle. Il serait très essentiel que cette pratique devint générale, partout où l’on peut avoir d’arrosage. Il avait été délibéré par la société d’agriculture de s’occuper de cet objet, en semant séparément, du sain-foin, du ray grass, du treffle, de la luzerne, de la pimprinelle etc…, afin de déterminer celles d’entre ces plantes, qui sont le plus convenable au pays, mais les moyens ont manqué jusqu’à présent.

Quant aux prairies naturelles, elles sont en général, en fort mauvais état, parce qu’on ne leur donne d’autre culture que celle de les arroser et de les fumer très légèrement tous les deux ans, ou tous les ans suivant la diligence et les moyens du propriétaire ; lorsqu’on néglige de les fumer, elles rendent que la moitié de la récolte.

Mais comme depuis qu’elles existent on ne les a jamais plus renouvelées, il en résulte qu’elles sont ou dégarnies, ou couvertes en partie de plantes peu productives pour ne pas dire nuisibles. Delà, la nécessité d’une instruction que les maires devraient faire à leurs administrés pour renouveler leurs prairies en donnant les premiers l’exemple.

Les prez sont fauchés trois fois ; après le troisième fauchage, ils sont affermés jusqu’à la moitié de pluviôse aux bergers, qui y conduisent leurs brebis, et qui en payent un très bon prix. Ce n’est qu’après qu’ils se sont retirés que les prez sont fumés. On trouve à cette pratique très ancienne deux défauts capitaux :
1èrement que le fumier y étant porté trop tard n’a pas le tems de pénétrer la terre, avant le commencement de la végétation, que d’ailleurs il s’en évapore alors une grande partie, le soleil de pluviôse étant déjà très fort dans ce pays ; au lieu que si le prez est fumé à l’approche des pluies d’hiver, l’engrais aurait le tems de pénétrer la terre au moyen des pluies et de la fraîcheur des longues nuits d’hiver.

2èmement que le berger conservant toujours la prairie, lors des mauvais temps, il y conduit son troupeau sitôt après les pluies d’où résulte que les brebis, avec leurs pieds fourchus foulent les herbes et les enfoncent dans la boue, qui forme après une croute que ni l’herbe ne peut pénétrer de bas en haut, ni le fumier de haut en bas. On est fondé à croire qu’en adoptant un autre système, le propriétaire serait amplement dédomagé en fourrage, de ce qu’il perdrait en n’affermant plus son prez pour l’usage des bestiaux.

Un prez de la capacité d’un hectare, coûte :

En journée pour l’arroser 20 francs
Pour le fumer 200
Pour faucher, fanner, fagoter le foin,
et le porter chez l’acheteur,
à un quart de lieu de la ville 163
___________
Total 383 francs

La journée du faucheur :

est à Nice, en l’an 1790 2 francs 05 centimes et le vin
en l’an X 3 francs et du vin
en montagne, en l’an 1790 1 franc et nourriture
en l’an X 2 francs et nourriture

Arbres fruitiers

Il me resterait à partir des travaux qu’exige la culture de l’olivier, et de l’oranger qui sont les principaux capitaux de l’habitant des Alpes-Maritimes, mais comme il y a beaucoup de chose à dire sur ces arbres, et quelques autres, je renvois à en parler très au long dans le chapitre que j’ai cru devoir les destiner.

 

Des engrais, en usage dans le département

Engrais de la campagne à Nice

Les engrais sont l’objet de la sollicitude continuelle de l’habitant des Alpes-Maritimes, parce que la terre ne produit rien sans eux : dans la campagne de Nice, surtout où les bestiaux sont rares, on s’ingénie de toutes les manières pour pouvoir donner du fumier aux fèves, à la vigne, aux oliviers et aux orangers. Une latrine est ici un objet précieux où on en rencontre partout dans les chemins, dans les rues, dans les lieux publics. C’est obliger quelqu’un que d’aller se soulager dans sa maison. En louant un appartement, il y a différence de prix si on laisse au propriétaire le produit annuel des excretions de la famille ; ce produit est estimé à 3, 4, 5 francs par individu. Celui des cloaques d’un bâtiment fort peuplé, tel qu’un hopital ou une caserne ; est très conséquent. La cloaque de la caserne de Nice, contenant 500 hommes, est affermée 1 700 francs.

Les maisons construites depuis 20 ans ont généralement des latrines ; mais celles de l’ancienne ville n’en ont pas, et pour y suppléer, chaque famille a un barril qu’elle tient dans un coin de sa maison, et dans lequel elle jette tous les pots de nuit et toutes les immondices ; le métayer vient le chercher lorsqu’il est plein, et y en substitue un vide ; ainsi, dans toutes les heures du jour, on rencontre des gens de la campagne avec ces barrils sur les épaules, ou sur les bourriques. Cette mesure se vend communément 50 centimes ; si elle est de bonne qualité. Je dis ainsi car ce qui est dégoutant pour tous les autres hommes ne l’est pas pour le paysan de Nice. Il trempe son doigt dans le barril, et le porte à son nez, et même à la bouche. Il connaît par ce moyen si l’on y a beaucoup de lavures de plats et d’autres eaux sales et alors la marchandise a moins de prix. On juge d’après ces détails, que la propreté à Nice est peu d’usage ; et véritablement, on sacrifie tous les agréments à la nécessité d’avoir des engrais.

Tel est le premier et le plus ample moyen qu’on a dans la campagne de Nice pour fumer les terres. Le second moyen consiste dans l’achat du fumier des écuries d’auberges et autres, lequel est très coûteux, eu égard à sa rareté. Cet objet est si précieux que de tout tems la ville a nommé un mesureur juré, chargé d’en surveiller la vente, avec une amende pour le propriétaire qui vendrait son fumier sans avoir appelé le mesureur public. La mesure de cet engrais valait anciennement 4 francs et aujourd’hui 6 francs, y compris le mesurage : elle équivaut à trois charges communes de mules, 280 à 310 kilogrammes (36 à 40 rubs), il en faut pour fumer médiocrement une sétérée, 15 perches, la quantité de 6 charges de mesure, qui a six francs chaque.

Font 36 francs
4 francs par charge pour le transport
à une demie lieue de distance 24 francs
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Total 60 francs

Cet engrais étant très cher, et cependant nécessaire à cause de la consistance parce que l’action du premier est trop fugace, les cultivateurs y suppléent en entretenant quelques bestiaux auxquels ils font la litière avec de la paille, des herbes fauchées dans les bois et les terres incultes, des broussailles, ou avec des branches de pin hachées en petits morceaux faute d’autres moyens. Les particuliers les moins riches tiennent un cochon et un âne, ceux qui ont quelques moyens de plus substituent un petit mulet à l’âne, ou tiennent l’un et l’autre ; les plus riches y ajoutent une vache ou deux, quelques moutons ou brebis, des lapins et des cochons d’Inde.

Tous ces animaux sont fort mal tenus dans leur étable où depuis pluviose jusqu’au thermidor, on
jette tous les barrils qu’on vient de prendre à la ville, et qu’on n’emploit pas immédiatement ; de sorte que leurs pieds trempent continuellement non seulement dans l’humide de leurs excrémens, mais encore dans celui des barrils, ce qui leur occasionne diverses maladies ; on y remédierait, avec autant de facilité que d’utilité pour le cultivateur, en donnant une inclinaison au sol de l’étable, et en y jetttant de tems à autre de ces terres blanches si communes, lesquelles en absorbant l’humidité et en se mêlant avec le fumier, produiraient un excellent terreau qui en doublerait la quantité, et qui conserveraient les pieds des animaux.

Le fumier que le cultivateur fait depuis qu’il a achevé l’ensemencement des terres jusqu’à ce qu’il recommence est conservé en tas ou dans les étables mêmes, ou dehors de la maison, exposé au soleil et aux pluies, et seulement recouvert d’un peu de paille, ou de quelques broussailles. On a soin de l’arroser de tems en tems avec le liquide des barrils, ce nonobstant, il est certain qu’il s’en consume beaucoup et qu’il perd de ses qualités essentielles, ce qui fait désirer que dans chaque campagne on aye une fosse suffisamment profonde et éloignée de l’habitation, recouverte d’un toit qui servirait à la préparation du fumier.

Les jardins, les orangers, les oliviers, les arbres fruitiers, les chenevières sont fumés avec les excréments humains. Je puis assurer, pour en avoir fait l’observation comparative que ce genre d’engrais hâte singulièrement la végétation, et plus que celui des animaux herbivores, mais en fait de plantes potagères il la hate trop et les fait pousser en longueur aux dépens de la grosseur. La vie de ces plantes est trop courte et leur fructification trop prompte. Elles ont aussi moins de saveur, ou une saveur plus désagréable que dans toute autre contrée. Les fruits ont moins de goût, ceux d’hiver ne se conservent pas, la fermentation putride succède promptement à celle de maturité.

On ne se sert pas ou du moins fort peu de ce genre de fumier dans le reste du département ; j’avais vu à Apricale un beau plan d’oliviers distingués des autres par leur vivacité. Le maire qui m’accompagnait me dit qu’il appartenait à 5 ou 6 particuliers qui réservaient tous leurs excréments pour le fumer. En arrivant à Isola Buona, commune la plus voisine d’apricale , je demandai à plus de 20 personnes qui étaient présentes, pourquoi l’on n’employait pas le même moyen. Tous d’une commune voix me répondirent que cette prospérité ne durerait qu’un instant, qu’elle attirerait des insectes et la vieillesse plus prompte des arbres. C’est là, à peu près, l’opinion de la plupart des cultivateurs de l’intérieur du département. Cependans nous ne pouvons la regarder comme fondée, lorsque nous considérons que cette méthode de fumer est très ancienne dans la campagne de Nice, ou il y a pourtant les plus beaux oliviers en même tems que les plus productifs du département.

Quant aux maladies des oliviers, dont je parlerai à tems et lieu il est à remarquer qu’elles sont infiniment plus multipliées par les communes où cet engrais n’est pas d’usage que dans la campagne de Nice, de sorte que je suis convaincu d’après l’expérience qui, en agriculture comme en médecine, est au dessus de toutes les théories, que ce fumier ainsi animalisé est ce qui convient le plus aux oliviers et aux orangers ou citronniers.

A l’égard de ces derniers arbres dont la culture est très bien entendue à Menton, on emploie communément dans cette dernière commune la raclure des cornes et des chiffons de laine qu’on enterre au pied de l’arbre, ainsi que toute autre production animale, ce qui suffit pour deux à trois ans. Les cornes viennent par mer, du royaume de Naples, et se vendent fort cher, mais cette dépense est bientôt compensée par le grand profit qu’on en retire, et qui est beaucoup moindre lorsqu’on se sert de fumiers végétaux, de sorte qu’il paraît à peu près certain que l’engrais qui a le caractère des substances animales ou qui est le produit d’animaux qui se nourrissent de viande, a un avantage sur tout autre fumier pour faire prospérer les arbres verts, ce qu’il serait facile d’expliquer par les connaissances chimiques actuelles si nous ne nous étions pas fait une loi de ne consigner que des faits dans cet ouvrage.

Il n’en est pas de même des plantes annuelles et peut-être des autres arbres fruitiers ; il paraît que ces végétaux s’accommodent mieux d’un fumier moins actif, analogue à leur nature ; quelques personnes instruites l’on senti et se sont déterminées à préparer un fumier mi végétal et animal, avec lequel elles feront des expériences comparatives dont nous attendons le résultat.
Avant la guerre, les colombiers étaient très multipliés, particulièrement pour la fiente des pigeons, dont on se servait pour le chènevière. On en portait aussi de dehors, sous le nom de colombine avec des crottes de chèvre et de brebis, dont on fesait le lest aux batimens marchands. Cet usage s’est perdu depuis 10 à 12 ans, et aujourd’hui qu’on aurait voulu le rappeller, parce que cet engrais est très précieux on a été forcé d’y renoncer par le haut prix mis à la colombine dont on voulait 11 centimes environ le kilogramme (5 francs le quintal, poids du pays).

Ces engrais joints aux vastières dont j’ai fait mention à la section des pâturages et dont je traiterai encore, au chapitre des oliviers, sont les seuls en usage dans la campagne de Nice. En cette partie comme dans les autres, la routine seule a guidé jusqu’ici l’agriculteur, il ne connaît ni l’art de préparer les terreaux, ni celui de faire la poudrette ; il ne sait suppléer au fumier, ni en brûlant les mottes ni en répandant de la marne, ni en mélangeant les terres ; peut-être, il est vrai, ces derniers moyens ne suffiraient-ils pas aux oliviers et citronniers, qui indépendamment de l’action méchanique de fumier en retirent probablement aussi quelques fluides élastiques qui en forment les principes constitutionnels.

Des engrais de l’intérieur du département

Quoiqu’on ne rejette pas les excrémens humains dans l’intérieur du département, cependant l’on n’y compte pas dessus comme à Nice, parce qu’ils sont dans chaque commune en trop petite quantité, la population de Nice faisant elle seule plus du cinquième de toute celle des autres communes prises ensembles, et les communes de l’intérieur ayant la plupart un territoire double et souvent triple de celui de Nice.

Mais elles ont le fumier de leurs bestiaux, qu’elles conservent avec soin jusqu’à la dernière vieillesse, à cause surtout de l’engrais, n’abattant que les animaux qui sont estropiés ; ce fumier est mélangé avec celui des latrines, et avec des plantes qu’on a soin de faire pourrir.

Dans la partie méridionale du département, qui est sans prairies et sans pâturages d’été, où l’on ne peut par conséquent tenir des vaches, on ne fume les terres qu’avec des crottes de brebis et de chèvres, engrais excellent, mais sec, et ne pouvant à cause de cela favoriser le pourrissage des plantes qui sont elles mêmes aussi très sèches. Là au contraire où l’on peut tenir des vaches, on leur fait litière avec le serpolet et la lavande, (lavenduta spica) plantes très abondantes et qui fournissent un bon fumier ; on les fait aussi pourrir dans des fosses qu’on humecte avec du pissat et toutes les eaux sales.

Dans les vallées nord-ouest du département la nature fait croitre abondamment dans tous les lieux incultes, un arbuste précieux (ici arbrisseau), le buis ; cette plante, qui est un véritable présent pour l’agriculture de ces contrées, fournit un excellent engrais, fort analogue à l’engrais animal ; on en cueille les jeunes tiges dont on fait litière, ou qu’on fait pourrir dans des fosses. Tous les cultivateurs m’ont assuré qu’il était de toutes les plantes, la meilleure pour l’engrais et il est employé dans plus de trente communes.

Le buis, outre l’utilité dont il est par ses jeunes branches et par ses feuilles, outre celle que son bois fournit dans quelques communes aux tourneurs, sert encore par ses racines à soutenir les terres et à protéger les chemins ; cependant on l’arrache de partout indistinctement, pour jouir un instant du terrain qu’il occupe ; combien cette spéculation aveugle ne devrait-elle pas être réprimée par la police municipale ?

Malheureusement, il ne vient pas partout ; le schiste noir décomposé dont j’ai parlé, ne peut pas le produire, et ces vastes ruines ne sont recouvertes que de genet dont l’habitant est forcé de se servir pour litière, mais qui ne fournit qu’un très mauvais engrais.

Dans la partie orientale du département, on n’emploie pour litière que les tiges et feuilles de pin, la paille étant employée à nourrir le gros bétail en hiver, et le buis y étant très rare. Ce genre de litière est très inférieur à celui du buis, parce qu’étant très sec, il pourrit plus difficilement ; encore les habitans se plaignent-ils qu’il leur manque, à cause du défrichement mal entendu des forêts et de la coupe journalière des bois ; toute l’année, le cultivateur travaille à se procurer de l’engrais et souvent encore n’y réussit-il pas.

En général, durant cette longue guerre, la campagne de Nice a été plus heureuse que le reste du département ; elle a profité des engrais considérables qu’y ont laissé les animaux des différents services ; dans l’intérieur du département au contraire, les réquisitions militaires et trois différentes épizooties très meurtrières, ont épuisé le bétail, et les terres laissées plusieurs années sans être fumées, se ressentiront longtemps de ce défaut de culture.

On fume les terres tous les deux ans, on emploit 25 charges de mulets par sétérée, 15 perches ; à un franc la charge ce qui fait total 25 francs.

Dans les communes où il y a beaucoup de bestiaux, comme à Briga et à Tende, on les fait parquer sur les champs, l’année de repos.

Temps des labours, des semailles, de la floraison,
de la maturité et des récoltes

Dans la campagne de Nice, sur toute la cote maritime, et dans la vallée de la Nervia, ces choses se passent ainsi qu’il suit.

Campagne de Nice et lieux analogues

Pour les bleds et légumes : on laboure en thermidor, et on commence à semer soit le froment, soit les grosses fèves dans les premiers jours de vendémiaire s’il a plu, et s’il n’a pas plu, on est forcé d’attendre les pluies. L’orge, le seigle, les petites fèves, (faverotes) pois pointus, gros millet, etc.. ne sont semés qu’après, et ces travaux durent pour tout germinal et même floréal si la saison a été retardée. On fauche les prez dans tout le mois de prairial.

Les moissons se font en prairial et dans les premiers jours de messidor ; ainsi les bleds reste neuf mois en terre, avant d’être coupés.

Les grosses fèves fleurissent en pluviose et même plus tôt ; on en cueille de fraiches en germinal et floréal, et on en fait la récolte sèches, en prairial. Pour les faveroles, on les récolte en messidor et thermidor, avec les autres légumes.

La vigne fleurit en germinal, la vendange se fait sur la fin de fructidor, dans les collines, et au commencement de vendemiaire dans les plaines.

Les poiriers et pommiers fleurissent en germinal et l’on fait la récolte des fruits d’été en messidor et au commencement de thermidor, des fruits d’hiver en vendemiaire et brumaire.

Les figuiers fleurissent en germinal et floréal, les premières figues qu’on appelle figues-fleur, mûrissent en prairial et messidor, et les autres en fructidor et vendemiaire.

Les oliviers fleurissent en floréal, et on fait la récolte des olives en brumaire, primaire, nivose, pluviose, ventose, germinal, floréal et même prairial suivant les lieux plus ou moins exposés au midi. Il est à remarquer que lorsque l’olive a été piquée par l’insecte qui la fréquente ainsi que les autres fruits, elle mûrit beaucoup plus tôt, et l’on est alors obligé d’en borner la récolte à moins de trois mois si on veut en tirer quelque parti.

Les orangers fleurissent en germinal, et sont en plaine floraison en floréal, tems propre pour distiller la fleur d’orange.

Les citronniers sont en fleur toute l’année, et quant à la récolte de leurs fruits, ainsi que des oranges nous renvoyons au chapitre suivant.

Le caroubier fleurit en thermidor et fructidor ; les fruits mûrissent en même tems, et on en fait la récolte en vendemiaire.

Tous ces arbres fleurissent quinze jours plutôt à Menton.

Intérieur du département

Dans l’intérieur du département, l’époque des semailles et de la récolte varie suivant qu’on s’approche plus ou moins du nord, et que le terrain est plus ou moins élevé ; déjà à la distance de 5 heures de Nice, les semailles se font à la fin de fructidor, si la terre a été humectée, et on ne moissonne qu’à la fin de messidor ; et au commencement de thermidor. Le blé reste donc en terre, un mois de plus.

A Lucéram, les vignes, les poiriers et les pommiers ne fleurissent qu’en prairial ; le 30 vendemiaire, j’y ai trouvé les raisins encore vert ; la vendange s’y fait dans le milieu de brumaire. Les oliviers y fleurissent très tard, ainsi qu’à Berra, Coaraza et lieux circonvoisins ; y étant retourné, avec le préfet, sur la fin de Thermidor, nous les avons encore trouvés en fleur, tandis que le fruit de ceux de la campagne de Nice était déjà tout gros ; aussi, n’y fait-on la récolte des olives, que depuis le mois de nivose jusqu’au méssidor.

Cette époque est, à peu de chose près la même pour la vallée du Var, les communes sises entre le Var et l’Estéron, et la vallée de la Bévera.

Sur les montagnes de la chaine du col de Pal, comme à Bueil, on commence les semailles par celles du seigle, vers le quinze thermidor, et elles sont ordinairement achevées vers le vingt fructidor : on sème l’orge, les pois blancs et les lentilles (très usitées en ce pays et appellées marsènes) en germinal. On commence de même la récolte par celle du seigle, au dix ou au quinze thermidor, et on finit par celle de l’orge et des légumes, vers le commencement de vendemiaire. Ainsi sur ces montagnes, le froment et le seigle restent un an complet en terre.
On commence à couper le foin, vers le milieu de messidor.

Cet entassement des travaux de l’agriculture, occasionné par les fréquens orages et par la grande quantité de neige qui tombe chaque année sur ces montagnes, est très pénible pour le cultivateur en même tems que nuisible à la culture parce que la population étant petite, elle ne peut suffire à bien faire tous les travaux qui se présentent à la fois, dans un territoire extrêmement étendu pour elle.

Les récoltes sont plus retardées à mesure qu’on s’approche de la région des frimats, des hautes Alpes. Avec cette différence toujours que la plaine des vallées concentrant dans son sein les rayons de soleil, est toujours plus précoce de deux mois que la montagne. A Saint Ethienne, Saint Dalmas le sauvage et Entraunes, on sème le seigle, en montagne, dans le mois de thermidor, sur la fin de fructidor et au commencement de vendemiaire dans la plaine.

On moissonne, dans les montagnes, en fructidor de l’année d’ensuite, et souvent même, 14 mois après les semailles, en vendemiaire et brumaire.

Dans la plaine, on moissonne en messidor de l’année d’ensuite, pour le froment, le seigle ; quant à l’orge, on le sème dans les plaines en germinal, on le récolte en vendemiaire de la même année de culture.

En montagne, on sème l’orge en floréal, on le moissonne au commencement de brumaire.
Mais ces moissons de brumaire n’ont pas toujours lieu ; lorsque la neige arrive de bonne heure, on est contraint de les abandonner, et c’est ce que j’ai vu en brumaire, an 10, qui m’a trouvé sur ces montagnes.

Deux heures plus bas qu’Entraunes, à Saint-Martin déjà, le grain reste en montagne 2 mois de moins. Dans la vallée de Guillaumes, elle y reste 11 mois, les semailles se fesant en fructidor, et la récolte en thermidor. Dans les terres basses au contraire, les travaux agricoles se font presque aux mêmes époques qu’à Nice, sauf la vendange qui a lieu un mois plus tard, parce que la vigne ne fleurit que sur la fin de floréal. Ainsi la grande chaleur que le fond des vallées fait éprouver en été, compense en peu de tems le froid excessif qui, en hiver, y retarde la végétation.

L’on voit par là que nous avons dans le même département la plus grande précocité et le plus grand retard, ce qui marche moins du sud au nord, que de l’est à l’ouest