Instruction et charité

Comparaison entre instruction ancienne et écoles en 1803. État des lieux de l’instruction de la population avec en conclusion la nécessité d’instaurer une protection du gouvernement afin de propager l’instruction. Descriptif des établissements de bienfaisance du département.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

Etablissement d’instruction publique et de bienfaisance

Instruction publique

Ecoles anciennes

En parlant des principales communes du département, nous avons fait la nomenclature des établissements d’instruction, qu’elles avaient anciennement, et qui étaient surveillées avec le plus grand soin par un magistrat appelé magistrat de la réforme, composé des premiers fonctionnaires de chaque province indépendamment de ces écoles, chaque commune, quelque petite qu’elle fut avait son école particulière, où les enfants des laboureurs prenaient durant l’hiver, les premiers éléments de lecture et d’écriture ; et apprenait le catéchisme. Les communes d’une population un peu étendue, avaient en outre un second instituteur pour les éléments des langues latines et italiennes. Comme je l’ai déjà dit, la religion était attachée à l’instruction ; des hommes pieux et en même temps amis de l’humanité, avaient fait des fondations de chapelles ou de nurses, auxquelles était attachées l’obligation d’enseigner la jeunesse gratuitement. C’était, par conséquent des prêtres, qui partout étaient chargés de l’enseignement ; leurs appointements n’étaient pas considérables ; les plus forts, pour ceux qui enseignaient le latin, ne s’étendant pas au-delà de 500 francs, mais ils suffiraient à des célibataires et dans un temps, où les vivres étaient à fort bon marché.

Les biens ecclésiastiques ayant été vendus et par conséquent avec eux, ceux de l’instruction, tous ces établissements ont disparu. Je n’ai pas rencontré une seule commune, où il en existait encore un ; aussi l’instruction n’est-elle que pour les riches qui peuvent payer des maîtres particuliers pour leurs enfants.

Ecoles actuelles

La substitution des écoles primaires à cet ordre de choses a été bien loin de le remplacer, car les communes se trouvant déjà extrêmement chargées d’ailleurs, ont entièrement négligé cette partie essentielle, et à part les quatre écoles primaires qu’il y a à Nice, à peine en trouve-t-on six dans le reste du département ; la défaveur même s’est jointe au défaut de moyens pour discréditer ces écoles ; accoutumé à voir unis à l’instruction les principes religieux, le peuple a craint, et par fois avec fondement, que les nouvelles institutions ne fussent subversives de son antique croyance ; l’intérêt personnel des ministres du culte n’a que trop favorisé cette opinion ; privés des bénéfices dont ils jouissaient précédemment, ils ont du attirer à eux tout l’enseignement, se déclarer les conservateurs des usages anciens, et se mériter ainsi la confiance des riches ; par là, les écoles particulières se sont autant multipliées que le nombre des écoles publiques à diminuer ; les quatre écoles primaires de Nice, qui en égard à la population, devraient avoir chacune le nombre de cent élèves, en ont à peine 60 entre toutes ; et cependant les instituteurs particuliers sont très multipliés, et le peuple préfère payer chèrement un de ces maîtres plutôt que de profiter de l’instruction gratuite que la loi lui présente.

Je me suis aussi aperçu que quelques maires pour concentrer le pouvoir dans leurs familles, n’ont rien fait pour remplacer les anciennes écoles, à la tête des conseils municipaux dont la plupart des membres ne savent pas lire, ils leurs communiquent leurs pensées et leurs intérêts. J’en ai trouvé qui m’ont rapporté, comme en chef d’œuvre de leur politique, qu’ils avaient persuadé à leur conseil municipal, qu’il était inutile à des laboureurs de savoir lire.

Nature de l’ancienne institution

L’enseignement ancien consistait dans toutes les écoles à apprendre l’italien et le latin. On employait de nombreuses années à cette dernière langue : ce qu’on appelait philosophie dans les collèges, était l’art d’argumenter en latin et un peu (illisible), dénué de toutes expériences, dans ce qu’on nommait le cours de physique. On était tellement infatué du latin, parce qu’il conduisait au sacerdoce, que tout le monde le faisait apprendre à ses enfants, et que j’ai rencontré dans plusieurs villages des paysans, ne comprenant ni le français ni l’italien, dénués de tout raisonnement, et cependant me récitant par cœur des vers de Virgile. Or, il n’est pas facile et il ne l’est même pas encore de substituer un nouveau mode d’instruction à de si vieilles habitudes. On eut désiré dans les instituteurs, la connaissance de la langue française ; mais il fallait les prendre parmi les français, et quel français aurait eu le courage d’établir dans des contrées à demi sauvages et avec d’aussi modiques appointements de quelle confiance d’ailleurs aurait-il joui ? Tout a donc contribué pour laisser aux prêtres l’enseignement et fidèles à leur ancienne méthode ; ils l’ont conduit tel qu’il était agréable au peuple, au point qu’au milieu de l’abandon général, où paraissaient être les ministres du culte et longtemps avant qu’on songe au concordat, on trouvait dans les coins reculés de ces montagnes, des écoles de théologie, fournies de nombreux élèves.

Nombre de ceux qui savent lire

Quelque multipliées pourtant qu’aient été les anciennes écoles, je ne vois pas que le nombre des lettrés fut très considérables. Je me suis procuré dans chaque commune l’état des gens sachant lire et écrire, et il ne monte pas au-delà de 7574, pour tout le département. Quant à ceux qui ont quelques connaissances en sus, je ne trouve pas qu’il monte au-delà de 700. Il est vrai qu’on m’a dit qu’avant la (illisible). Le premier nombre était beaucoup plus fort, et il est vrai aussi que je n’ai pas compris dans le second, les deux tiers des 800 prêtres qu’il y a dans les Alpes-Maritimes. Mais j’ai trouvé leurs connaissances si bornées, si au-dessous de leur état, qu’en vérité, su été avilir la raison, que de la mettre à côté de cette partie respectable d’ecclésiastiques qui entrent pour leur part dans ce nombre de 700, ayant des connaissances en sus, tant par leurs lumières, que par la régularité de leur conduite.

Ce n’est au reste, que dans les villes et dans les principales communes, des parties orientales et méridionales, qu’on remontre le plus de personnes sachant lire et écrire, et avec quelques connaissances en sus ; dans les villages montagneux du nord et de l’ouest est telle que si l’on n’y prend garde, l’on ne trouvera bientôt plus de personnes pour les administrer. Déjà l’on voit un grand nombre de maires ne sachant ni lire ni écrire ; là le secrétaire de la commune est tous ; il est l’âme de l’administration, maire et conseil municipal ne sont que des membres aveugles qui exécutent ailleurs, si le maire est lettré, il ne se trouve d’autre personne pour le secrétaire et percepteur. Le maire est encore tout ici, et il figure sous des noms supposés, dans ces différentes fonctions. On peut estimer aisément quel est l’état du peuple dans cet ordre de chose et quelle part il prend aux lois et règlements, qui sont souvent aussi compliqués que l’ancien mode d’administration était simple.

Instruction des femmes

L’éducation ancienne était entièrement pour les hommes. Je connais peu de pays, où celle des femmes fut aussi négligé. J’ai vu des villages entiers et la ville même de Saint-Ethienne, où pas une femme ne sait lire ; Ce n’est seulement que dans les classes les plus élevées, où le sexe joint de cet avantage qui même n’est guère poussé au-delà de la connaissance des livres d’église. A Nice cette éducation était donnée dans les cloîtres, et les religieuses qui en sont sorties, la continuent aujourd’hui dans des écoles particulières. Je n’ai pu remarquer que trois écoles de filles dans le reste du département, une à Roccabiliera, l’autre au Puget, et l’autre au Villars, dont les maîtresses sont les mêmes que dans l’ancien régime, et sont payées par les parents, comme elles l’étaient alors, avec environ une vingtaine d’écoliers pour chaque école. Au Villars, il n’y en a déjà plus.

Différence d’instruction suivant les régions

Cette partie du département qui correspond au Puget et qui était ci-devant du diocèse de Glandeves, avait un soin plus particulier de l’instruction, dans la vallée d’Entraunes et dans celle de Guillaumes, dépourvues aujourd’hui d’instituteur. Presque tout le monde savait lire, quoique l’Italien fut la langue de l’état, le français étant la langue de l’évêque, et des commerçants des pays circonvoisins. On enseignait en cette langue, et telle est encore une suite de l’influence du voisinage.

Nécessité de la protection du gouvernement pour propager l’instruction

Ainsi les établissements publics d’instruction se bornent aujourd’hui à l’école centrale de Nice (supprimer depuis que ceci est écrit le 30 frimaire an II) et un très petit nombre d’écoles primaires peu fréquentées. Si le gouvernement n’établit pas un lycée à Nice, il ne restera plus dans le département, d’institution en ce genre, en vain où pressent cet état de choses, depuis la loi qui supprime les écoles centrales, on n’a pas même pensé encore à l’établissement des écoles secondaires ; d’ailleurs, j’ose en prédire le peu de réussite, n’étant pas soldées par l’Etat, peu de parents s’empresseront d’y envoyer leurs enfants et de contribuer à l’existence des instituteurs ; la loi du 3 brumaire au 6 accordait aux professeurs des écoles centrales, comme partie de leurs honoraires, une rétribution par élève, qui ne pouvait passer 25 francs par an ; cette rétribution fut fixée ici à 20 francs ; eh bien les professeurs durent en faire le sacrifice, pour attirer à l’école un plus grand nombre d’élèves ; sacrifice même qui n’eut que de bien minces résultats ; que serait-ce lorsqu’il faudra pouvoir à l’entière subsistance des maîtres ? Et quels maîtres trouverait-on, avec des modiques appointements, dans un pays où les objets de première nécessité sont à un si haut prix ? L’établissement des pensionnats eut été d’un grand avantage ; la douceur seule du climat y eut attiré grand nombre de piémontais et liguriens, voisins. J’ai fait les plus grands efforts pour en démontrer l’utilité et la nécessité ; ils ont été vains ; les pères riches qui pouvaient aider cette institution de leurs moyens, préférant d’envoyer leurs enfants dehors, plutôt que de contribuer à la prospérité de leurs pays, qu’attendre d’un égoïsme aussi brutal et aussi dénaturé ? Cependant je connais assez le pays pour pouvoir dire que c’est à l’ignorance qu’il faut attribuer tous les crimes qui s’y sont commis et qui s’y commettront encore dans toutes les secousses violentes ; quoique la science ne soit pas nécessaire à l’homme des champs, il a pourtant besoin d’un peu d’instruction pour adoucir la férocité de son caractère, surtout dans les pays, où nous voyons, que telle a été sa tendance naturelle pendant une longue suite de siècles. La soumission de pareils hommes n’est que momentanée, dès qu’elle n’est pas dirigée par la force du raisonnement. J’ai dit que si l’instruction est laissée à la discrétion des parents, je crains bien qu’elle ne soit nulle ; j’ai démontré dans tout cet ouvrage que ce peuple ne sait ni penser ni rien faire par lui-même. J’ai écrit ce que j’ai vu, en historien fidèle ; ma tâche se borne là.

Etablissement de bienfaisance

 

Etat de la mendicité

Le département des Alpes-Maritimes renferme un grand nombre de pauvres, mais fort peu de mendiants. L’état de ces derniers, ou possédant absolument rien et vivant de charité, ne passe pas le nombre 400 parmi lesquels la plus grande partie est de Nice ou des pays circonvoisins.
L’infertilité du sol, et la nécessité ont rendu le peuple laborieux ; il s’était établi, de temps immémorial, un noble préjugé qui attachait l’infamie à la profession de mendiant, et la tache d’inhumanité aux communes qui en fournissent le plus ; comme toutefois, dans un pays sujet à tant de vicissitudes plu la prévoyance est souvent en défaut, et le travail le plus opiniâtre rendu nul ; comme d’ailleurs la classe de journaliers et des petits propriétaires, parvenue à la vieillesse ne tire plus aucun secours, de ses bras et qu’elle a besoin de l’assistance publique, on y avait pourvu dans presque toutes les communes par des établissements de bienfaisance, proportionnée à la nature des besoins des laboureurs nécessiteux, et dont l’organisation était véritablement édifiante.

Ils étaient pauvres comme le lieu ; ils n’avaient ni la grandeur, ni le faste de ces édifices qui donnent asile aux fainéants comme aux malheureux. Ce n’était pas des aliments donnés régulièrement à des foules de gueux volontaires qui attestent la mauvaise police d’un pays, mais c’était des réduits de véritable consolation ; une providence éclairée qui fournissait sans bruit au père de famille de quoi faire substituer des enfants jusqu’à la récolte prochaine.

Nature des anciens établissements de bienfaisance

Les établissements consistaient en secours à domicile, en monts de piété, en grains ou en argent, en fonds pour doter des filles, etc. enfin en hôpitaux de malades. Ils étaient régis par une congrégation de charité, ou par des confréries de pénitents de la miséricorde, à la tête desquelles étaient les curés, et ces hommes étaient vraiment miséricordieux.

Le même esprit de religion qui avait donné des fonds pour l’instruction, en avait aussi assigné pour la véritable bienfaisance. Elle avait en outre des fonds éventuels tirés de la charité publique, et des amendes infligées aux contrevenants aux règlements de police. Comme chacun se connaît dans les petites communes, et que le bon curé est ordinairement le meilleur ami de ses ouailles, on m’a assuré dans plusieurs endroits, que les secours prévenaient souvent la délicatesse de la demande.

Les monts de piété en grains, étaient un fond plus ou moins considérable de blés et de légumes, qu’un ou plusieurs fondateurs avaient laissé dans un grenier particulier, pour être prêté aux laboureurs nécessiteux, afin de semer leurs terres ; proportionnellement à la quantité de terrains qu’ils avaient à semer ; ce prêt était rendu à la récolte, avec ou sans intérêt ; cet intérêt était fixé à la 16ème partie de la mesure prêtée dans plusieurs communes, on ne payait point d’intérêt.
Les monts de piété en argent, prêtaient sur gages de toute nature, sauf d’objets susceptibles de se détruire ; les uns sans intérêt, les autres à l’intérêt de 2 %, par an.

Quant aux fonds pour la dotation des pauvres filles, je ne lui ai trouvé établi qu’à la Briga, Saorgio, Sospello, Utelle et Nice. Dans la première de ces communes, on pouvait en doter annuellement 5 à 6, à 100 francs chaque ; dans la seconde on pouvait en doter quatre tous les dix ans, à 200 francs par dot ; dans la troisième, on pouvait en doter annuellement quatre, à 100 francs par fille ; dans la quatrième, on pouvait en doter deux, à 300 francs chaque ; dans la cinquième le même nombre et la même somme que dans la quatrième. La congrégation s’assemblait, le curé à la tête, et le suffrage était pour la plus vertueuse.

Les monts de piété en grains étaient plus généralement répandus dans les communes de la partie occidentale et septentrionale ; quelques uns même en avaient plusieurs suivant le nombre des confréries de pénitents, qui avaient, chaque une, la belle émulation de posséder aussi un établissement pour se secourir. Dans la partie maritime et méridionale, je n’en ai vu des traces nulle part, excepté à Peglia ; mais il y avait partout des monts de piété en argent et des secours à domicile plus copieux, que dans les autres régions.

Revenus de ces anciens établissements

Aux secours à domicile, connus alors sous le nom d’œuvres de la miséricorde, était ordinairement attachée une petite maison ou une portion de maison, avec quelques lits, jusqu’au nombre de 6 à 7, dans les communes les mieux partagées, pour les passants malades, ou pour les vieillards du lieu dénués de tout secours ; à Scarina, le mouvement des secours donnés soit à domicile, soit dans l’hôpital, était ordinairement pour 20 à 24 personnes annuellement à 75 centimes par jour, sur un revenu fixe de 400 francs joint à celui des aumônes et des amandes ; à Lucéram il y avait aussi une maison avec deux lits, et on administrait des secours à domicile, à 40 nécessiteux, annuellement, sur un revenu fixe de 400 francs, au même taux de 75 centimes, par jour qui me paraît avoir été la règle générale pour tout le département de la journée de malades, tant chez lui qu’à l’hôpital.

A Dolce aqua, secours à domicile pour 100 individus, sur un revenu de 1200 francs.
A Périnaldo, secours à domicile sur un revenu de 300 francs.
A Apricale, idem, pour 25 à 30 nécessiteux, sur un revenu de 700 francs.
A Isola Buona, idem, sur un revenu de 300 francs.
A Pigna idem, sur un revenu de 300 francs.
A la Briga, idem, sur un revenu de 600 francs.
A Tende, idem, sur un revenu de 1000 francs, ayant eu de plus un petit hôpital, avec 4 lits pour les paysans.
A Saorgio, idem, sur un revenu de 600 francs avec un hôpital à 6 lits pour les paysans.
A Breglia, idem, sur un revenu de 1000 francs, avec aussi un hôpital à 7 lits.
A Sospello, idem, sur un revenu de 1000 francs, plus un hôpital de 5 à 6 lits, avec un revenu fixe de 900 francs.
A Saint-Ethienne, idem, sur un revenu de 600 francs, avec un petit hôpital de 2 à 3 lits.
A Guillaumes, idem, sur un revenu de …., avec un hôpital de 7 à 8 lits.
Au Puget, idem, sur un revenu de 1200 francs, avec une salle de 3 à 4 lits.
A Utelle, idem, sur un revenu de 4000 francs, avec un hôpital de 8 lits, et une fondation de 240 francs de revenus, pour habiller les pauvres de la paroisse.
A Monaco, un hôpital civil, 600 francs de revenus.
A Menton, 200 francs, pour secours à domicile.

On ajoutait à tous ces revenus, comme je l’ai déjà dit, celui des aumônes et des amendes de sorte qu’avec les monts de piété en grain et ceux en argent, les nécessiteux de chaque commune avaient des secours suffisants et n’étaient pas obligés de mendier.

Perte d’une partie de ces revenus

Aujourd’hui, les monts de piété n’existent plus sauf celui de Nice, en argent. Les hôpitaux ou portion d’hôpital ont été détruits en majeure partie, et je n’ai plus vu en état que ceux d’Utelle, Nice, Villefranche et Monaco. Les troupes, partout où elles ont passés, ont dévoré les lits, linge et meubles, de ces établissements sacrés, et les congrégations détruites ou tombées en déssuétudes, ont laissé écrouler les édifices qui avaient d’ailleurs servi au logement des soldats des différentes armées ; la majeure partie des capitaux qui servaient de revenus fixes à ces établissements, se trouvant placé ou sur des biens d’église ou sur des monts de piété des villes du Piémont, ou sur des biens d’émigrés, ou sur ceux des communes, ou sur les rentes de l’Etat, se sont vu totalement éclipsés, ou se trouvent par le changement des choses, considérablement diminués. Les particuliers débiteurs ont, ou profite de l’anarchie pour ne plus rendre ce qu’ils avaient emprunté et pour égarer les titres qui constataient leurs dettes ou sont devenus totalement insolvables. Les administrations créées dans le trouble suivant les opinions, n’ont fait aucune recherche depuis la réunion à la France, soit par crainte, par paresse ou par ignorance et quelques unes, d’entre elles, ne sont pas exemptés, parmi leurs concitoyens, du soupçon d’avoir tiré part du désordre, au détriment des pauvres. La charité qui avait créé ces institutions et qui les alimentait, s’est chargée en un égoïsme froid et impassible ; le produit des amendes est de nulle valeur, de sorte que cette branche de félicité publique est presque anéantie, comme à celle de l’instruction.

Revenus actuels

Il est à remarquer que les communes où il y a le plus eu de convulsions politiques, sont celles, où les établissements de bienfaisance ont le plus souffert, tandis que celles, où la révolution s’est fait le moins sentir et dont les administrateurs s’en sont le moins occupés, ont eu le bonheur de les conserver en grande partie. Voici ce qui reste de revenu pour cet objet, aux communes dont j’ai fait l’énumération.

A Scaréna…………. 40 Francs
A Lucéram………… 137 Francs
A Dolce aqua……… 400 Francs
A Périnaldo……….. 50 Francs
A Isola Buona…….. 300 Francs
A Pigna…………… 300 Francs
A la Briga………… 600 Francs, les revenus pour la dotation des filles, non perçus depuis
A Tende…………... 1 000 Francs
A Saorgio…………. 560 Francs
A Bréglia…………. 600 Francs
A Sospello……….. 600 Francs, les 900 Francs pour l’hôpital, et les revenus pour la dotation des filles, non perçus, depuis 10 ans, partie sur l’Etat et partie sur la Ville.
A Saint-Ethienne…. 0 Franc, d’après l’assertion du Conseil Municipal
A Guillaumes…….. perte de la moitié des revenus par remboursement en assignats, etc.
A Utelle…………... 2 100 Francs, la fondation pour les vêtements des pauvres
A Monaco………… 0 Franc, par remboursements en assignats
A Menton………… 200 Francs.

Il y a donc actuellement pour les communes sus-mentionnées, la somme de 6 613 francs de revenus annuel de perdus, en préjudice de la classe nécessiteuse, sans compter les monts de piété, dont les fonds ont tout à fait disparu, et ceux affectés à doter les pauvres filles, plus les pertes faites pour l’hôpital de Guillaumes, dont je n’ai pu avoir l’exacte énumération.

 

Hôpitaux de traitement

Il reste actuellement, dans le département, en fait d’hôpitaux de traitements de malades, celui d’Utelle qui en est propre, bien aéré et bien soigné, mais qui ne contient plus que trois lits ; celui de Guillaumes, à moitié détruit, mais ayant encore deux à trois lits, par les soins de l’administration actuelle, celui de Villefranche, ayant deux belles salles et servant habituellement à 6 à 7 malades, duquel je n’ai pu connaître les revenus ; celui de Monaco, dont l’édifice et les meubles ont été conservés, mais qui, ayant perdu ses rentes, ne donne plus que le couvert aux malades ; celui de Nice dont je parlerai plus bas.

Augmentation des dépenses

Indépendamment de la porte des capitaux, pour la recherche desquels les administrations m’ont assuré n’être pas en état de faire les avances des frais de justice et autres, devenus très conséquent, ces établissements se trouvent aujourd’hui fort limités dans le bien qu’ils peuvent faire, à cause du haut prix des denrées et de la main d’œuvre ; on peut en juger par la dépense comparative de l’hôpital d’Utelle, en 1790 et en l’an X, ayant à la première époque, 8 lits à donner et n’en donnant plus que 3 actuellement.

Savoir

En 1790 En l’An X

- Pour le médecin…………….. 40 francs
- Pour le chirurgien…………... 30 francs
- Pour les remèdes…………… 150 francs
- Pour les servants…………… 300 francs
- Pour le régisseur…………… 100 francs
- Pour l’aumônier…………… 300 francs
- En journées de malades…… 1 000 francs
__________
Total 1 920 francs

………………………………… 600 francs
………………………………… 120 francs
………………………………… 400 francs
………………………………… 200 francs
………………………………… 200 francs
………………………………… 200 francs
………………………………… 500 francs
_________
Total…………. 2 020 francs

Ainsi, cet hôpital, avec un mouvement de malades, plus petit de deux tiers qu’en l’an X, fait plus de dépenses qu’alors ; aussi le sort des nécessiteux est-il très déplorable dans tout le département, et le nombre des mendiants a-t-il augmenté.

Depuis la cessation des discordes révolutionnaires, plusieurs lois ont été portées, en France en faveur des établissements de bienfaisance, susceptibles de leurs donner une nouvelle vigueur, mais qui sont totalement inconnues aux administrations de ces œuvres, dans l’intérieur du département ; il serait essentiel d’en faire une collection, et de l’envoyer traduite en Italien, à chaque administration ; peut-être même serait-il nécessaire de redonner à ces institutions le caractère religieux qu’elles avaient auparavant, et qui les fesait fleurir ; qui peut se rapprocher davantage du culte que les hommes rendent à leur père commun, que les œuvres de charité ?

Je n’insisterai pas pour le rétablissement des hôpitaux, pour lesquels d’ailleurs le peuple a de la répugnance et auxquels des secours à domicile suppléent très bien, sauf pour celui de Tende, qui me paraît d’une urgente nécessité, à cause du passage de la montagne ; mais je forme des vœux bien ardents pour la restitution des fonds destinés aux secours à domicile, aux monts de piété en grains et en argent, et à la dotation des pauvres filles. Je sais par l’expérience des lieux, que l’homme le plus laborieux, peut se trouver quelquefois dénué de tout par l’effet d’un ouragan ; que deviendrait-il d’abord lui et ses enfants ; que deviendrait le vieillard informé, s’il n’y a pas une providence ?

Anciens établissements de bienfaisance à Nice

La ville de Nice était celle qui était la mieux pourvue en établissements de bienfaisance. Elle avait en 1790 cinq hospices régis des congrégations, ou des confréries de pénitents :

1èrement l’œuvre de la miséricorde qui distribuait des secours à domicile jusqu’à la concurrence de 10 à 12 mille francs par an ; qui administrait le mont de piétés en argent, et qui dotait chaque année, une ou deux filles,
2èmement l’hospice des orphelins, où l’on fesait apprendre des métiers à des pauvres enfants,
3èmement l’hospice de la charité, où l’on élevait des enfants abandonnés, et l’on donnait retraite à des vieillards et à des estropiés,
4èmement l’hôpital de Saint-Roch, où des marins, où l’on recevait des malades de toutes les classes du peuple,
5èmement l’hôpital de la croix ou des bourgeois, n’ayant que vingt lits et destinés à des classes pauvres un peu au-dessus du commun, qui y trouvaient la propreté et les commodités que les malades auraient pu désirer chez eux. Les rentes réunies de tous ces établissements se montaient, m’a t-on assuré, à environ 100 000 francs. Encore la ville était-elle changée des mois de nourrice des enfants trouvés, lesquels étaient remis à la charité après qu’on les avait sevrés.

Ces différentes œuvres ont perdu à ce qu’on m’a également assuré pour 50 000 mille francs de rentes, soit pour les remboursements en assignats, soit par la vente de leurs biens, etc. Leur réunion sous une seule commission administrative, et le zèle continue des administrateurs, ont préservé d’une chute totale les principales d’entre elles, malgré que la charge des enfants trouvés ait été reversée sur les hospices.

Etablissements actuels

Les établissements de cette nature consistent aujourd’hui en un hôpital civil, une maison de charité, un mont de piété, et un bureau de bienfaisance.

L’hôpital civil ou de Saint-Roch, se trouvait placé dans une encoignure, proche la poste marine, entouré de bâtiments de la vieille ville, et les salles étaient, selon moi peu aérées et peu salubres. L’hôpital militaire ayant été supprimé et réuni au civil ; ce dernier a changé d’emplacement et occupe maintenant le local de l’hôpital militaire, dans le palais qui était ci-devant le siège du gouvernement. Mais ce local, pour être plus spacieux et plus aéré, n’en est pas moins entourré de maisons, et placé au centre de la ville, et produit des exhalaisons souvent funestes aux habitants qui sont à son entour. C’est pourquoi, tant pour le bien des malades, que pour celui des citadins, la commission de santé du département s’est réunie à l’administration des hospices, pour demander un couvent aux extrémités de la ville, qui réunirait l’espace, la commodité, et la pureté de l’air de campagne.

Avec les rentes qui lui restent, les trois cinquièmes de l’octroi municipal, et les malades de la garnison, pour lesquels le gouvernement paye 1 francs 20 centimes la journée pour chaque individu, l’hôpital civil de Nice a un revenu de 100 000 francs.

Sur ce revenu, il entretient habituellement 70 malades, mouvement moyen, tant en 1790 qu’en l’an X, sans parler des militaires.

Il est chargé de la distribution des secours à domicile, qui sont à dire vrai, des deux tiers moindres, qu’en 1790. Ces secours consistent en une somme d’argent donnée, de temps en temps, à des familles pauvres. On n’a pas adopté à Nice, le traitement des pauvres malades au sein de leur famille ; on se contente des secours pécuniaires ; mais si on y joignait des remèdes et le médecin, l’hôpital y gagnerait beaucoup, et l’ouvrier, qui n’y va qu’avec répugnance, serait plus satisfaisant et plutôt guéri.

Enfants trouvés

Il est chargé aussi, comme je l’ai déjà dit, des mois de nourrice des enfants trouvés. Leur nombre est ordinairement de 160 par an, et il en était de même en 1790. On les livre à des nourrices de la campagne à 8 francs par mois, et 9 francs une fois pour toute en les prenant pour leur petit trousseau au moyen de quoi l’administration en est déchargée, pour 18 mois ou 2 ans, époque à laquelle ils entraient à la charité.

J’ai la satisfaction d’annoncer que je me suis assuré qu’il en meurt pas un plus grand nombre de ces enfants que des autres dans ce pays ; tandis qu’à l’hôpital de Marseille, j’ai vu pour en avoir été le médecin qu’il en mourait neuf dixièmes régulièrement.

Mais à Marseille, on teint les nourrices à l’hôpital et chaque nourrice a quelquefois, jusqu’à 4 nourrissons à Nice au contraire, ces enfants sont élevés à la campagne et il est rare qu’une nourrice en élève au-delà de deux en même temps.

Maison de charité, etc...

La maison de charité, quoique sous la même administration a ses revenus à part, qui se montent à environ 9 à 10 mille francs. Elle entretient habituellement 70 à 80 individus, tant enfants que vieillards, quelques uns de ces enfants apprenant des métiers, mais partie est peu soignée. L’on n’est pas encore parvenu à introduire un genre de travail dans cette maison, duquel l’administration peut tirer parti, en même temps qu’il serait utile au physique et au moral de ceux qui l’habitent. Le mont de piété quoique intact et régi par ses administrations, est languissant et de peu d’utilité au public. Le bureau des bienfaisances d’institution moderne pour distribuer aussi des secours à domicile, ce qu’il fait ? quand il a des fonds, il les retire, d’un droit, sur la comédie qui est peu fréquentée ; sur les amendes qui est mal payé, de la charité publique, qui est très refroidie. La dotation des filles pauvres n’a plus eu lieu depuis la réunion.