La navigation

Passage en revue des marines de Nice, Villefranche, Monaco et Menton, de la pêche et du commerce dans le département.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

Navigation

Nous avons décrit les moyens industriels que présente la terre, parcourons à présent les avantages que retirent ces habitants de leur position maritime. Ils consistent dans la navigation et dans la pêche.

Les quatre communes de Nice, Villefranche, Monaco et Menton, ont eu et ont encore une partie de leur population occupée à l’état de marin. Jamais cette partie n’a été florissante, elle l’est même plus aujourd’hui qu’en 1790 ; car le pavillon d’abord étant peu puissant, et toujours en bute aux Turcs et aux Barbaresques, et les relations commerciales peu étendues, la navigation était bornée à un petit nombre de vaisseaux et à une petite étendue de mer. La force navale et protectrice du commerce maritime de l’ancien gouvernement était seulement de trois frégates, dont la plus forte de 34 canons. Aujourd’hui que sous le pavillon français, les marins de ces contrées peuvent aller partout comme les autres indigènes, il est plus que probable que ce genre d’industrie triplera de prospérité.

Marine de Nice

Il y avait en 1700, au port de Nice 8 navires pour les voyages de long cours à qui les pilotes des frégates royales servaient de capitaines. C’était des briks et des bombardes à 2 mâts de la portée de 120 tonneaux expédiés sous la bannière de Savoie dans les parages de France et d’Angleterre.
En l’an X, il n’y en avait que deux qui se hasardassent de dépasser la Méditerranée, et ce faute de capitaine de long court, y ayant fort peu ou pour mieux dire, point de marins instruits, et la plupart des capitaines, soit patrons de navires, ne sachant lire ni écrire, et ne connaissant leur état que par une longue routine.

Le petit cabotage, c’est-à-dire le voyage de cote depuis Agde jusqu’à Gênes, consistait en 1790 en 20 navires, entre felouques, tartanes et bateaux, allant partie à voiles, partie à rames, de la portée depuis 8 tonneaux jusqu’à 120.

En l’an X il y en avait 40, mêmes navires et même portée, occupant en tout 300 marins. Plusieurs de ces navires sont au service du commerce de Marseille.

Ils exportaient ce qu’ils exportent encore aujourd’hui, de l’huile, des oranges et des citrons, de la parfumerie, du sumac, des planches et des salaisons du pays, du riz, des chaussures de la soie du Piémont et ils rapportaient du blé, des légumes, du vin, de la morue, des stockefischs, des cuirs, des draps, du savon, du suif, du cuivre et du fer.

Marine de Villefranche

Il y a 6 constructeurs, 12 calefats, 4 cordiers, 1 fabricant de voiles.

Nous avons déjà eu occasion de faire observer la différence tranchante qui existe entre les habitants de Nice et ceux de Villefranche ; elle se signale particulièrement par la passion que ces derniers ont pour la mer, par leur hardiesse et leur habileté tant sur cet élément que dans la confection des matériaux propres à la navigation. Ils sont presque tous alternativement agriculteurs, matelots et charpentiers ; tous sont également familiers tant avec la mer qu’avec la terre.

Avant la Révolution, à l’exception d’un 6ème de la population, tout le reste se donnait à la mer ; on comptait 15 capitaines de grand cabotage, qui avaient avec eux 90 matelots du pays ; six capitaines ayant avec eux 36 matelots ; presque tous ainsi que les premiers au service du commerce de Marseille, étaient sans cette occupés, au petit cabotage de Marseille à Cète et de Cète à Marseille.

Parmi les premiers, plusieurs ne se bornaient pas, comme les vaisseaux de Nice aux cotes de France et d’Angleterre, mais ils fesaient aussi des traversées des Indes et de l’Amérique.
Cette industrie, surtout celle du petit cabotage, donnait la subsistance aux familles qui n’étaient pas alimentées par la marine royale, et a été la source de toutes les fortunes qui se sont faites à Villefranche.

Le commerce ayant été interrompu pendant 10 ans, ce moyen de prospérité a disparu ; les 726 individus occupés tant à la marine de l’Etat qu’à la marine marchande, se sont expatriés en grande partie, et cette petite ville compte aujourd’hui à peine 60 matelots occupés à monter 10 à 12 tartanes qui font la traversée de Marseille à Nice, et qui ne peuvent entreprendre de plus long voyages, parce que ceux qui les commandent n’ont pas subi les examens nécessaires.
Il reste à Villefranche 15 charpentiers constructeurs, 30 calfats, et un voilier, uniquement occupés à ces professions, qui ne les nourrissent pas la moitié de l’année.

Cette ville manquant de ressources dans les fortunes des particuliers, on peut pas se relever comme Nice : c’est pourquoi, soit eu égard à sa rade, que par rapport au génie marin de ses habitants, elle mérite de fixer l’attention du gouvernement.

Marine de Monaco et de Menton


La marine de Monaco a toujours été fort peu de chose ; elle consistait et elle consiste encore en 5 tartanes qui font le petit cabotage de la cote, et un brik qui va un peu plus loin. Celle de Menton est plus conséquente, à rayon du nombre des négotians de cette ville, et du commerce qu’elle fait en huiles, en citrons et eau de fleurs d’orangers . Elle a 30 tartanes ou felouques et 150 matelots, pour le petit cabotage ; un calfatier, un charpentier constructeur et un cordier.

Total des marins actuels et des ouvriers de marine du département :

Capitaines, soit patrons de navires…………………………………. 89
Matelots………………………………………………………………………………... 430
Charpentiers-constructeurs, maîtres………………………………… 22
Calfats, maîtres……………………………………………………………………… 28
Voiliers, maîtres……………………………………………………………………... 2
Cordiers, maîtres…………………………………………………………………….. 5

Tableau approximatif du produit de l’industrie du département des Alpes-Maritimes,
non comprise celle des troupeaux et des diverses branches qui n’ont pu être évaluées, en l’an X

Pêche

Il est naturel de croire que la pêche a été de tous les temps une des occupations principales des habitants de la cote ; cependant il faut convenir que la nature a été très peu généreuse de ce coté ; en considérant l’abondance de poissons que fournit la mer depuis Marseille jusqu’à Fréjus, on est surpris sans pouvoir en découvrir la raison de leur rareté dans les mers de Nice et de la Ligurie.

La mer de Villefranche est celle qui, sur la cote dont nous parlons, en fournit le plus ; le golfe de Saint-Jean, abrité de gros vents et entouré de rochers, paraît présenter aux habitants des eaux un séjour plus favorable, que les bords unis et sans cesse ventilés de la Méditerranée, depuis Antibes jusqu’à Nice. Les premiers ont aussi un goût plus exquis que les poissons de Nice, lesquels diffèrent beaucoup par leur saveur des poissons de Marseille ; ils ont la chair plus flasque, et ils paraissent avoir été influencés par les éléments de l’engrais particulier à Nice, entraînés dans la mer par les eaux pluviales et par les eaux de source ou des torrents et rivières qui y aboutissent.

Pêche de Nice

La pêche la plus commune de la mer de Nice, consiste en sardines, maquereaux, muges ou mulets, bogues ; ce sont les plus abondants, après eux viennent les loups, les merlans, les pagres, les anchois de l’embouchure du Var. Les soles, le poisson Saint-Pierre, et autres de cette nature, sont plus rares.

30 bateaux, occupant 180 pêcheurs sont ordinairement employés à cette pêche, laquelle se fait toujours à la vue des cotes. Quelquefois la pêche est abondante, surtout dans le temps des migrations des sardines, maquereaux et muges, et alors, cordonniers, savetiers, tailleurs, et en général tous les artisans, quittent leurs boutiques pour se faire pêcheurs.

Mais c’est particulièrement l’anchois qui fournit la pêche la plus riche et la plus abondante. Ce petit poisson originaire de l’océan, ainsi que la sardine se dirigeant de l’ouest à l’est, arrive tous les ans par troupe, dans les mers de Fréjus, Nice, Villefranche et le commencement de la Ligurie, dans les mois de prairial et de messidor. Quelques uns venant fraier à l’embouchure du Var y laissent des colonies séparées de la troupe qui deviennent indigènes de ces parages. Il y a par conséquent deux pêches de l’anchois celle des indigènes et celle des anchois de passage : la première se fait tous les ans, depuis ventose jusqu’en prairial, et la seconde, en prairial et messidor.

Cette seconde pêche n’est pas égale tous les ans. Elle fut si abondante il y a 15 ans, qu’on prit 77 907 kilogramme (10.000 rubs) de ces poissons dans une matinée mais depuis 10 ans c’est-à-dire durant la guerre, il y eut si peu d’anchois de passage, que les saleurs n’employèrent guêre que des sardines, autre poisson de passage et laissant des colonies comme l’anchois, mais qui peut être du même genre, en diffère cependant :

* 1èrement parce qu’il est plus gros,

* 2èmement parce qu’il a l’épine du dos plate, au lieu que l’anchois l’a triangulaire,

* 3èmement parce que sa chair est moins savoureuse que celle de ce dernier.

Les pêcheurs, privés d’une si grande ressource, cherchèrent longtemps la raison de cette longue absence des anchois. Ils crurent, et je partageai moi-même leur opinion :

* 1èrement qu’ils avaient été épouvantés par le bruit si longtemps prolongé des instruments de guerre ;

* 2èmement que la multiplication des thons occasionnée par la suppression de la madrague de Villefranche avait produit l’anéantissement des petits poissons : lorsque en l’an X, dans les mois usités de prairial et de messidor, il en parut tout à coup des troupes inombrables, qui répandirent la joie parmi tous les pêcheurs et firent mettre en mer cent bateaux dont les deux tiers étaient depuis bien d’années oisifs et à sec sur le rivage ; on en a pris 116 860 kilogrammes (15.000 rubs) dont deux tiers furent salés, et un tiers vendus frais à 80 centimes 22 décimes le kilogramme (25 centimes la livre).

La salaison des anchois et sardines occupe 10 à 12 familles, on enlève la tête à ces poissons, on les sèche bien, on les serre les uns contre les autres, et on les range dans des barils, avec un lit de sel commun, auquel on mélange un quart de la mine de fer rouge appellée hématite, réduite en poudre et portant dans le pays le nom de Cinebre. Cette poudre indépendamment de la couleur rouge qu’elle donne à la salaison sert aussi à la conserver par sa qualité astringente et tonique.

Le kilogramme d’anchois salés se vend 1 francs 41 centimes 21 décimes (12 francs le rub) de même que les sardines qu’on fait passer pour anchois. Cette pêche produit par conséquent, lorsqu’elle est abondante 120 000 francs.

Pêche de Villefranche

Les pêcheurs de Villefranche, participent aussi à la récolte des anchois, mais comme je l’ai dit, leurs filets sont plus heureux que ceux de Nice ; la rade de ce nom et le golfe de Saint Jean nourrissent assez abondamment des rougets, des dorades, des loups, des grosses sardines et des thons. De tous les poissons aucun ne fournissait autrefois dans cette mer une pêche aussi riche que celle de ce dernier. Leur abondance avait donné lieu à l’établissement d’une madrague qui payait chaque année au gouvernement 12 à 15.000 livres de Piémont pour la ferme du privilège exclusif. Cette madrague employait journellement 26 hommes et autant de femmes, pour l’entretien des filets.

Les thons et autres gros poissons qu’elle prenait étaient fort nombreux et servaient à l’approvisionnement non seulement du département mais encore du Piémont et d’une partie de l’Italie. Indépendamment de ces avantages pour le peuple et pour l’Etat, cette madrague a souvent servi d’asile aux navires battus par la tempête, et leur a fourni des secours en embarcations, câbles, ancres, etc. De plus, elle habituait les jeunes gens de la mer. Elle peupla le quartier de Saint-Jean de ses habitants, parmi lesquels la marine du roi de Sardaigne prenait ordinairement les novices.

Tels étaient les avantages qu’on retirait de cet établissement lorsque le sous-commissaire de marine à Nice le supprima tout à fait il y a 6 ans par un coup d’autorouté, sans qu’on en ait jamais su la véritable raison. Mais il est évident, du moins, d’après mes lumières, que cette suppression est désavantageuse à l’Etat, aux particuliers, et à la pêche. En elle-même cette dernière, si elle n’est pas contenue par des justes limites et sous la direction de compagnies qui en répondent, devient bientôt nulle par la multiplication des pêcheurs et celle des moyens de pêche. C’est ce qui est arrivé dans les mers de Nice et de Villefranche ; le défaut de marine et de la madrague qui avait une certaine surveillance ne pouvant plus fournir aux besoins de tous, une grande partie du peuple s’est adonnée à la pêche, et le nombre des pêcheurs s’est tellement multiplié, et ils ont tellement dépeuplé par des moyens destructeurs, ces mers, de leur nature peu poissonneuses, qu’à peine trouvent-ils à gagner leur vie.

Le poisson qu’on voit le plus abondamment dans la poissonnerie de Nice, et qui est apportée de Villefranche, appelé nonat (néonati), est une preuve du peu de surveillance qu’on donne à la pêche. C’est un mélange de petits poissons à peine nés, ainsi que leur nom le porte, encore tout transparens, à travers desquels on voit tout le système de la circulation. Or, ces nonats ne devraient-ils pas être relancés à la mer, pour y prendre tout leur accroissement ? Mais telle est l’aveugle activité du peuple, lorsqu’elle n’est contenue par aucune bonne !

Il est vrai qu’on a rétabli à Nice l’ancien tribunal des prud’hommes, soit juges des pêcheurs ; on se plaint néanmoins toujours de l’anarchie qui règne dans la pêche, et les nonats sont étalés chaque jour sous les yeux de ce tribunal.

Pêche de Monaco et de Menton

Passé Villefranche, où il y a 60 bateaux de pêcheurs, occupés journellement, à 6 hommes par bateau comme à Nice, la pêche est peu active, soit que la mer soit moins poissonneuse, soit qu’il y ait moins de consommation ; on trouve encore six bateaux de cette nature à Menton, occupant le même nombre d’hommes, mais avec moins de profit qu’à Nice et à Villefranche.

Total des bateaux pêcheurs ordinaires de toute la cote………………….. 86

Total des bateaux extraordinaires………………………………………..... 110

Total des pêcheurs de profession…………………………………..……... 596

Tableau approximatif du produit de l’industrie du département des Alpes-Maritimes,
non comprise celle des troupeaux et des diverses branches qui n’ont pu être évaluées, en l’an X

Fabriques de tuiles, briques, chaux et gips

30 000 Francs

Fabriques de draps

62 400     =

Fabriques de chapeaux de laine

6 000       =

Fabriques de chapeaux de paille

1 000       =

Fabriques de dentelles

800           =

Tanneries, dans l'intérieur

20 000     =

Tanneries à Nice

250 000   =

Filature de soie, dans l'intérieur

20 000     =

Filature de soie, à Nice

250 000     =

Facture d'environ 30 mille douzaines de planches et solives 

50 000     =

Ferroneries

75 000     =

Transport du sel, planches et billons

10 000     =

Bois de chauffage et pommes de pins portés à Nice et Menton

12 000     =

Parfumerie

77 575     =

Papeteries

24 000     =

Savonneries, 46 744 Kilogrammes

66 000     =

Pour 17 500 caisses à enfermer les oranges

52 500     =

Confection de vermicelli et autres pates

600 000   =

Produit du climat, en étranger

300 000   =

Pêche et salaison d'anchois

120 000   =

Sumac

10 000     =

Produit des abeilles 11 218 kilogrammes

8 640        =

Ce qui établit un mouvement total de

1 892 435 francs

Dont partie circule dans le département et partie va au dehors,
ainsi que nous voir au chapitre suivant

Du commerce des Alpes-Maritimes

Des foires et marchés du département

Les foires et marchés accompagnent les moyens d’industrie et n’existent que dans les lieux où l’on a un superflu d’objets à mettre en vente. Les parties méridionales et orientales du département n’ayant que de l’huile, des oranges et des citrons, qui s’exportent par voie de mer, n’ont ni foires ni marchés ; on ne trouve rien d’analogue, depuis Nice jusqu’à Menton, depuis Menton jusqu’à Peglia, et depuis Tende jusqu’à Nice. Cette dernière ville a un marché tous les samedi, pour les œufs, fromage et autres denrées de cette nature, plus deux foires qui sont à peine des marchés, l’une le 6 fructidor, et l’autre le 17 nivose, où l’on vend du gros et menu bétail, ainsi que des cochons, et dans lesquelles il se fait à peine des affaires pour 10 000 francs.

Quoique la nature des lieux soit peu susceptible de ces sortes d’établissements, ne produisant rien, par eux-mêmes, qui puisse s’y vendre, il semblerait cependant qu’afin de lier davantage entre eux les habitants des différentes communes, et pour les rendre moins assujettis à la cupidité des revendeurs de denrées de première nécessité, il conviendrait d’établir des marchés de grains et autres comestibles dans les principales communes de la cote maritime, et de la route de Nice à Tende. Ainsi Menton demande un marché, le vendredi de chaque semaine ; Saorgio voudrait une foire le dernier lundy de vendemiaire, et je pense d’après la position des lieux que ces établissements ne pourraient qu’être utiles à ces communes et aux communes environnantes, sans porter aucun préjudice à ceux établis dans les autres endroits.

La Briga, riche en troupeaux et en produits de ces mêmes troupeaux, qui ne sont pas destinés à passer les mers, a une foire le 20 de fructidor où il se fait un assez grand commerce de gros et de menu bétail, de laines, de fromages, de draps grossiers, et de chanvre du Piémont. Piémontais et Liguriens abondent à cette foire où l’on dit qu’il se fait des négoces pour 2 000 francs.

Mais dans les parties septentrionales et occidentales du département, où l’on a besoin de bestiaux à vendre ou à échanger contre des autres marchandises nécessaires, le sentiment du besoin de commerce a fait naître un assez grand nombre de foires, se nuisant peut être les uns aux autres par leur multiplicité, et le peu de convenance de la saison où elles se trouvent établies. Quelques communes qui en avaient en 1790, les ont perdues, tandis que d’autres qui n’en avaient point en ont obtenu depuis le nouveau régime, je ne sais trop sous quel fondement.

Voici le tableau général des foires et marchés de tout le département, en 1790 et en l’an X
(ou 1802).

Noms
des communes

Foires en

Marchés en

Jours auxquels les foires ont lieu

 

1790

l'an X

1790

l'an X

Nice

2

2

4
le samedi

48

Le 6 fructidor et le 17 nivose

La Brigua

1

1

<

<

Le 20 fructidor

Lantosca

1

<

48
le jeudi

<

Le 1 frimaire

Roccabiliera

2

2

<

<

Le 8 vendemiaire et le 4 frimaire

St Martin de Lantosca

1

1

<

<

Le 20 brumaire

St Ethienne

4

5

<

<

Le 14 vendemiaire, le 10 brumaire, le 30 floréal, le 5 messidor et le 6 fructidor

St Dalmas le sauvage

<

2

<

<

Le 12 vendemiaire et le 28 fructidor

St Martin d'Entraunes

<

2

<

<

Le 1 brumaire et le 22 prairial

Villeneuve d'Entraunes

<

<

1

1

<

Guilleaumes

4

4

<

<

Le 17 vendemiaire, le 20 brumaire, le 5 germinal et le 28 thermidor

Péaune

2

2

<

<

Le 20 vendemiaire et le 27 fructidor

Bueil

1

1

<

<

Le 15 fructidor

Puget-Théniers

3

3

1
le 18 ruivose

1
le 12 ruivose

Le 25 vendemiaire, le 9 frimaire et le 5 floréal

Massoins

1

<

<

<

Le 12 brumaire

Villars

4

1

<

<

Le 5 complémentaire

Clans

1

1

<

<

Le 12 vendemiaire

Entraunes

<

2

<

<

Le 1 jour complémentaire et le 22 floréal

Total des foires et marchés

27

29

98

50

Le principal commerce de ces foires est, comme nous l’avons déjà dit, dans les bestiaux de tout genre. Cependant l’on y vend aussi des draps grossiers, des couvertures en laine, des cuirs, des souliers, des chapeaux en laine et en paille, de la clinquaillerie grossière et du blé, surtout dans les communes qui en ont un excédent comme à Saint-Ethienne, à Péaune, à Bueil. Les unes ne durent que quelques heures, les autres se continuent un ou deux jours. Celles de Saint-Ethienne, Guilleaume, Beuil et le Puget sont les plus florissantes, parce que indépendamment des gens du département, elles attirent les habitants des départements du Var et des Basses Alpes qui y conduisent des jumens et autres bêtes de sommes et qui achètent les deux tiers des draps fabriqués dans le pays. Toutes ne sont pas également fréquentées, et des 5 foires à Saint-Ethienne, il n’y a que celle du 14 vendemiaire où il se fasse un assez grand nombre d’affaires, car comme elles se rencontrent presque toutes dans les mêmes mois, dans les diverses communes, il est impossible qu’elles puissent avoir un égal nombre de marchands ; et la foire de Beuil, qui est unique, à plus de célébrité que toutes celles des vallées d’Entraunes, de Guilleaumes et de Péaune réunies.

La foire du 9 frimaire du Puget-Théniers est la principale des trois, par les bestiaux, les draps, les chanvres et les comestibles qui s’y vendent, tels que le blé, huile, vin, figues, etc, et surtout les oignons du pays qui jouissent d’une grande célébrité et sur lesquels la seule petite commune de la Croix fait annuellement un commerce de 15 à 18 cent francs.

La réunion des Alpes-Maritimes à la France est infiniment propre, ainsi que nous l’avons déjà vu, à favoriser ces foires, mais d’une autre part le mauvais état des chemins leur est extrêmement nuisible ; tellement qu’à part celles du Puget, elles sont moins fréquentées aujourd’hui qu’autrefois.
En estimant l’un dans l’autre, le commerce qui se fait dans ces 29 foires à 8 000 francs, on a une circulation d’argent de 232 000 francs, ce qui se rapporte à peu de chose près au calcul que j’ai fait du prix total des marchandises du département qu’on peut y exposer en vente et dont la moitié est achetée par des étrangers du département.

Indépendamment de ces foires légales, chaque commune ayant un ou plusieurs patrons dans le ciel, dont la fête est célébrée avec pompe et attire beaucoup de monde des communes circonvoisines, ce jour est communément aussi un jour de foire et de marché, où indépendamment du grand nombre de cabarets, on vend toute sorte de bestiaux et diverses petites marchandises.
Plusieurs communes désireraient d’avoir des foires, et celles qui en ont d’en obtenir un plus grand nombre ; ainsi Lantosca demande qu’on lui rétablisse sa foire et ses marchés ; Villeneuve d’Entraunes n’est pas contente de son marché, et voudrait y ajouter une foire le jour suivant, le Puget-Théniers demande une 4ème foire, le 28 fructidor, Villars veut aussi une foire le 5 frimaire ; Massoins demande le rétablissement de la sienne ; la commune d’Escros en voudrait une le 16 fructidor ; Roqueestéron (sic) en demande deux le 20 prairial et le 1er vendemiaire ; Levens le 15 fructidor. Mais il est à remarquer, 1èrement que par l’isolement où la plupart des communes vivent les unes des autres, on ne sait pas même à Nice s’il existe des foires dans le département ; l’almanach qu’on y imprime n’en indiquant que trois à quatre, et moi-même ne les connaissant que parce que j’en ai pris la note sur les lieux ; 2èmement qu’il résulte de cette ignorance que chaque commune ne pense qu’à elle sans savoir si dans le même mois des autres communes n’ont pas des foires ; 3èmement que le commerce est trop petit, pour multiplier les foires. Ainsi dans la vallée de la Vésubie, ou il y en a trois, celle de Saint-Martin de Lantosca et une de celles de Roccabiliéra sont fort peu de chose. Clans peu éloignée de Villars et de Massoins, qui a une foire a déclaré qu’elle lui est plutôt nuisible qu’utile, et à plus forte raison si ces établissements étaient plus multipliés dans ces cantons. Si la foire demandée par Levens était établie, celle du 8 vendemiaire de Roccabiliéra diminuerait de valeur. Tel serait aussi le sort de celles du Puget, si on en établissait de nouvelles entre le Var et l’Estéron. Ainsi le nombre des vendeurs et des acheteurs étant limité, les foires doivent l’être pareillement, surtout dans un pays où il y a peu de population, et plus elles seront plus rares et plus elles seront fréquentées ; en même temps les marchandises acquerront plus de valeur. Sur ces principes, loin d’en proposer la multiplication, je désirerai qu’en en diminuat le nombre.

Je n’ai pas les mêmes craintes pour les vallées de la Roya, de la Bévera, de la Nervia, et pour les cotes maritimes, privées absolument de foires, celle qu’on y établirait dans le point le plus central ne pourrait qu’être très fréquentée.

On ne court non plus aucun risque de multiplier les marchés pour les denrées de première nécessité, étant autant avantageux pour la population de les avoir en quantité et à bon compte, qu’il serait dangereux de faire baisser le prix des objets d’industrie, en les exposant à ne pas avoir un nombre suffisant d’acheteurs.

Commerce de l’intérieur du département

Il est facile à présent de déterminer, d’après tout ce qui a été dit précédemment et le tableau que nous avons donné de l’industrie, sur quels objets roule principalement le commerce intérieur, et la quantité de numéraire dont il établit la circulation pour donner au lecteur, en un seul coup d’œil, une idée sommaire de ce mouvement. Nous allons nouvellement le réduire en tableau, en extrayant ce qui est destiné à l’exportation, et en ajoutant ce que nous n’avons pas cru devoir comprendre sous le titre d’industrie et qui a plutôt rapport à l’agriculture et aux pâturages.

Produits

Des tanneries de Nice et de l'intérieur

116 520 francs

Des savonneries

  66 000

Des ferroneries

  75 000

Des papeteries

  24 000

Des fabriques de tuile, briques, chaux et gips

  30 000

D'une partie de vermicelleries

300 000

Des loyers, etc, pour les étrangers

300 000

Des fabriques de chapeaux

     7 000

Des dentelles

        800

En nature des vers à soie

216 000

De la vente du bois à bruler

  12 000

De la vente des planches et solives

  30 000

Du transport de sel, plaches et billons

  10 000

D'un tiers des fabriques de draps grassiers

  15 600

De la vente de veaux

  50 000

De la vente de mules, 100 à 300 francs

  30 000

De la vente de deux tiers des agneaux

296 000

De la vente du fromage consommé dans le département

278 000

De la vente des boeufs, vaches, ânes etc...

  30 000

De la vente des moutons et brebis de boucherie

113 000

De la vente du vin

100 000

De la vente du miel

     8 640

De la vente des figues

  23 000

De la vente des carroubes

     5 000

TOTAL

2 137 440

Telle est approximativement, la quantité de numéraire réel, soit représenté par les objets à livrer ou par la bonne foi qu’on peut estimer naître des échanges continuels qui se font entre les productions du sol et celles de l’industrie et de laquelle on peut estimer aussi que le tiers existe en réalité dans le département. Il est à noter cependant que la plus grande partie de ce commerce se fait à Nice, qu’on peut regarder comme le premier point central de toutes les opérations.

Commerce d’exportation et d’importation

Je ne crois pas qu’avant la réunion à la France, le commerce d’exportation à l’étranger fut de beaucoup plus conséquent qu’il ne l’est aujourd’hui, pour l’intérieur du département ; seulement il profitait avec un grand avantage, du transport des diverses marchandises qui du Piémont devaient arriver à Nice pour passer les mers et réciproquement.
Mais Nice et Villefranche devaient retirer un grand profit du commerce d’exportation et d’importation, étant seuls ports des Etats de terre ferme du roi de Sardaigne. Nous lisons dans la géographie commerçante du citoyen Feuchet article Marseille, que année moyenne de 1787 à 1789, les importations des Etats du roi sarde en France ont été de 24 601 000 francs, et ont occupé 455 batiments de 13 854 tonneaux, et que les exportations de France pour ces Etats ont été de 19 001 000 francs et ont occupé 608 batiments de 21 068 tonneaux.
Marseille recevait des huiles, des blés, du riz, des soies, des chataignes, du thon mariné, des citrons, des oranges etc. et elle fournissait en échange des sucres, du café, cacao, indigo, morues, vins, cuirs, chapeaux, savons, filtre à pêche, draperies, toileries, étoffes, boucheries etc, et la balance du commerce était en faveur des Etats du roi de Sardaigne.
Outre les expéditions pour la France, on avait celles pour l’Italie et l’Angleterre, cette dernière surtout qui était très favorisée, fesait un grand commerce dans ces Etats.
Voici le sommaire de ce qu’était alors le commerce de Nice, d’après un mémoire qu’a bien voulu me communiquer le citoyen J. B. Guide, un des principaux et des plus habiles négociants de cette ville.
Il consistait,

  • 1èrement A l’exportation des objets mentionnés ci-dessus, sauf les blés, riz et chataignes qui étaient des productions de la Sardaigne et du Piémont. Les deux tiers ou les trois quarts étaient d’ordinaire consommés par la France, le reste se dirigeant en Piémont ou dans le nord.
  • 2èmement A l’importation des objets nécessaires à la consommation et non produits par le pays tels que grains, vins, denrées coloniales et autres mentionnées ci-dessus. Ces objets étaient fournis par le Piémont, la Sardaigne, l’Italie, la France, l’Angleterre, la Hollande et le nord.
  • 3èmement Au passage des marchandises en transit, les plus considérables étaient celles d’entrée et de sortie pour le Piémont par le col de Tende, dirigées à Nice. Il en passait pour la Suisse, pour le Milanais ; Nice était un point où venait aboutir tout ce que Londres, Amsterdam, Lisbonne, Marseille, Gênes, Livourne, expédiaient en Piémont et que le Piémont leur expédiait. Le mouvement était continuel, il comprenait aussi les tabacs, sels des gabelles du Piémont ; il vivifiait Nice, par les profits de commission, main d’œuvre, arrivage et navires, séjour des muletiers, mulets et voituriers. Ce mouvement excédait 14 023 281 kilogrammes (300 000 quintaux) de transport par année.
  • 4èmement Nice frontière de France avait aussi le bénéfice de l’entrepôt des marchandises prohibées, que l’Angleterre, la Suisse versaient en France, et l’on m’a assuré que le commerce interlope était aussi conséquent que le commerce légal.
  • 5èmement La marine marchande dont j’ai déjà parlé, avait pour elle, en temps de guerre, l’éventualité de la neutralité du pavillon et des ports de Nice et de Villefranche, auxquels des armateurs français recouraient alors.
  • 6èmement On doit ajouter à tous ces moyens de commerce la franchise des ports et places de Nice et Villefranche, non seulement quant aux droits de gabelle sur les marchandises d’exportation et de passage, mais encore quant aux banqueroutiers étrangers, franchise immorale, et qui pourtant a été une source féconde de capitaux pour la place de Nice.
  • 7èmement Quoique le droit dont nous allons parler, loin d’appartenir au commerce, en soit, au contraire, l’opposé, il enrichissait cependant le souverain. C’est-à-dire, celui-ci percevait un droit, connu sous le nom de droit de Villefranche de deux pour cent, sur la valeur des cargaisons, de tous les navires marchands qui passaient et repassaient devant Villefranche. L’Angleterre s’en était libérée par la loi du plus fort, la France par l’argent, mais les Génois Toscans, Romains, Siciliens, Vénitiens, Ragusiens, Suédois, Danois, Hollandais, Espagnols, Portugais, et même Savoyards y étaient assujettis. Ainsi, par une inconséquence de ce gouvernement, tandis que d’une part, il voulait attirer le commerce dans ses Etats, il le gênait de l’autre par des taxes mises sur ses propres sujets.

Commerce d’exportation en l’an X

J’eusse désiré obtenir le bilan effectif du commerce d’alors, pour les Alpes-Maritimes seulement, car le calcul de Peuchet portant sur tous les états de l’ancien gouvernement, ne peut me servir à cet usage. Il m’a été impossible de me le procurer, tout comme de me procurer le bilan actuel ; mais comme par les soins que j’ai pris, j’ai déjà obtenu les principales données, je ne crois pas m’écarter extrêmement de la vérité, en établissant le tableau suivant pour le commerce d’exportation.

Tableau des objets et de la valeur du commerce d’exportation des Alpes-Maritimes, fait en l’an X

Objet

Quantité

Montant total

Huile

2 337 213 kilogrammes

6 000 000 francs

Oranges et citrons

20 millions

320 000 francs

Caisses pour les susdits

17 500

52 500 francs

Vin de Nice mis en bouteilles

40 000 bouteilles

40 000 francs

Vermicelli, macarons etc.

15 581 kilogrammes

300 000 francs

Parfumerie

77 575 francs

Soies en nature

270 000 francs

Anchois salés

77 907 kilogrammes

120 000 francs

Draps du pays

46 800 francs

Laines du pays

34 445 francs

Agneaux

148 400 francs

Fromages

200 540 francs

Sumac

1 000 charges

10 000 francs

Planches, poutres et solives exportées

120 000 francs

Carroubes

11 050 francs

TOTAL

7 750 300 francs

Ce résultat actuel du commerce d’exportation de Nice sur lequel nous faisons les réflexions convenables à la fin de ce chapitre, se trouve bien balancé par celui de l’importation. Le département, en effet, achète de l’intérieur de la France pour huit mois de l’année les grains et les vins nécessaires à sa consommation ; il achète des blés durs pour la confection de ses pâtes, dont partie, comme on l’a vu, sort encore après avoir été ouvré, et c’est le seul objet qui soit enrichi du bénéfice de la main d’œuvre. Après cela, drogueries, toileries, draps, étoffes de toute nature, chanvres, métaux (sauf le plomb et ses oxides demi vitreux que la mine de Tende pourrait fournir entièrement), clinquaillerie, etc. Tout arrive de dehors au point que le Niçard qui considère qu’il dépend entièrement de l’étranger pour tous ses besoins, et qui ne sait pas analyser ses ressources, ainsi que cela est très commun, ne comprend pas comment il peut se faire qu’au milieu d’une si grande pénurie apparente, cependant ses bals de carnaval soit aussi brillant que ceux des cités les plus opulentes. Voici les résultats de l’importation.

Tableau par apperçu des objets importés dans le département
des Alpes-Maritimes, et de la valeur de ce commerce en l’an X

 

Objet

quantité

Montant

Bled, froment et légumes

80 000 hectolitres

3 000 000 francs

Bléd, seigle, orge et mays

48 000 hectolitres

1 200 000 francs

Vin

57 559 hectolitres

1 464 000 francs

Riz du Piémont

8 665 hectolitres

74 970 francs

Boeufs de boucherie

1 400

175 000 francs

Veaux de boucherie

6 000

144 000 francs

Drogueries, et en général denrées coloniales

500 000 francs

Draperies, toileries, chapeaux, cuirs, bonneteries etc.

1 273 650 francs

Sel pour la consomation

587 809 kilogrammes

37 725 francs

Tabac idem

38 952 kilogrammes

93 750 francs

Fer en barre, fer blanc, fer ouvré

140 233 kilogrammes

60 000 francs

Clinquaillerie et meubles

100 000 francs

Chanvre du Piémont

15 581 kilogrammes

32 000 francs

Morues, harengs et fromages étrangers

50 000 francs

Juments des Basses Alpes pour poulines, mulets et mulets

150 000 francs

Papier pour les citrons

8 000 rames

32 000 francs

TOTAL

8 387 095 francs

Le commerce d’importation a donc eu en l’an X un excédant de 635 785 francs, sur celui d’exportation ; et cependant d’après tout ce qui a été dit précédemment, il est évident que depuis la guerre, il n’avait jamais été aussi brillant ; il faut ajouter que l’huile qui est l’article le plus considérable ne s’était jamais vendue au prix qu’elle a obtenu cette année. Ce haut prix a engagé les particuliers à en vendre toute la quantité possible, non seulement de la nouvelle, mais encore de celle de l’année précédente. Nice a expédié non seulement l’huile du département, mais encore celle des communes voisines du Var, des Basses Alpes et de la Ligurie, ce qui a donné aux marchands de cette denrée, un ample bénéfice de commission, d’emmagasinage etc. Ainsi, l’on ne doit pas regarder cette quantité d’huile expédiée, comme appartenant en entier au département, et l’on ne doit pas considérer les 7 751 310 francs, comme la valeur annuelle de son commerce d’exportation, mais comme une valeur purement éventuelle. On calcule au contraire, que ce commerce, année commune, ne peut guère porter au delà de 6 000 000 francs.

Cependant la somme du commerce d’importation varie peu ; chaque année, la nature des choses le voulant ainsi ; car on a toujours besoin de blé, de vin, et de tous les autres objets que le pays ne produit pas : et ces denrées, ainsi que ces objets, il faut les payer. C’est donc le commerce intérieur qui remplit le déficit, et qui supplée par les ressources que les besoins journaliers développent, à la quantité de marchandises que le département ne peut pas expédier. Il est évident que si je ne suis pas entré dans tous les détails des objets importés, j’ai également omis diverses matières qui peuvent être livrées à l’exportation et dont je n’ai pas connaissance. Il est évident surtout que mes calculs n’ont pas porté sur tous les objets d’industrie, puisque je n’ai pas parlé de la valeur que les différents artisans ajoutent aux matières premières importées ou de celle qu’elles obtiennent dans les mains de ceux qui les détaillent, surtout dans ce nombre si multiplié d’auberges, de cabarets, et de revendeurs de denrées de toutes les espèces où, ce prix, qui va en croissant, à mesure que la chose change de main ou qu’elle est modifiée, ajoute d’une manière incalculable à la somme déjà établie des gros objets du commerce intérieur, et établit concurremment avec le prix des objets exportés et beaucoup d’économie, une balance telle avec le commerce d’importation, que si cette balance n’a pas été jusqu’ici si fort en faveur du département que d’y créer de gros capitaux, du moins elle n’a pas été si défavorable que d’y produire de ces dettes énormes qui bouleversent quelquefois les grandes places de commerce.

Des diverses considérations dans lesquelles je suis entré, il m’est résulté une vérité à laquelle j’avoue que je ne m’attendais pas ; c’est que quoi que ce département soit peu industrieux et peu commerçant, il vit pourtant deux fois plus de son commerce que de ses denrées et si par un grand malheur pour lui, le prix de ses huiles venait à baisser considérablement, et qu’en même temps la récolte fut très modique, il se trouverait tout à coup obligé de diminuer de population. En quoi, il est évident combien il importe de soutenir cette denrée des parties méridionales de France à un taux convenable soit en écartant, autant que la justice le permet, les huiles étrangères, soit en ne satisfaisant pas trop la multiplication des autres végétaux qui pourraient remplacer l’huile d’olive.

Le commerce d’exportation et d’importation est fait par 44 maisons principales, desquelles, 30 à Nice, 4 à Monaco et 10 à Menton. La plupart des négociants attachés à ces maisons font peu de spéculation de quelque conséquence pour eux-mêmes étant habitués par une longue routine aussi ancienne que le commerce de ces contrées, à ne rien entreprendre que de très solide et d’un profil assuré. Ils sont donc presque tous de simples commissionnaires, des gros négociants de Marseille, d’Agde et de Cète excepté ceux qui sont fabricans. Il reçoivent pour leurs commettans les grains, légumes et autres objets qu’ils emmagasinent et qu’ils vendent en préservant les prix de la commission et des autres frais. De même ils ramassent les huiles, en magasin, pour les envoyer lorsque leurs commettans les désirent. Ces espèces de négociants ont, en conséquence, le bénéfice assuré des ventes et des achats sans courrir aucun risque pour leur propre compte. On conçoit de là que les gros capitaux des commerces dont nous avons parlé, ne sont pas de Nice, mais dans les mains de ceux qui en sont l’âme. Il n’y a dans le département que les capitaux extrêmement divisés ; de la première vente des denrées et du commerce intérieur plus le produit des commissions et de courtage, dont la somme (qui peut monter à 300 mille francs), consommée dans le pays, diminué d’autant la valeur totale de numéraire exporté.

Le commerce du vin est excepté, car il se fait presque entièrement par les patrons de bateaux, qui le vendent au port pour leur propre compte.

Aussi, Nice, place d’entrepôt et de commerce du département avec la France, et de la France avec l’Italie, a-t-elle un profit réel tant dans l’importation que dans l’exportation, en quoi elle a un avantage inappréciable sur tout le département qui n’en retire aucun de l’importation.

Le commerce tant d’importation que d’exportation est fait en majeure partie par voie de mer. Il est rare qu’il arrive à Nice des marchandises par terre, excepté du Piémont. Le commerce de l’extérieur du département, avec les départements voisins se fait à dos d’homme ou de mulet. Du 1er vendemiaire an X au 1er vendemiaire an XI, il est entré dans le port de Nice 1927 batiments, du port depuis 6 tonneaux jusqu’à 120, lesquels estimés l’un dans l’autre à 60 tonneaux donnent 115 620 tonneaux. Il en est sorti dans le même espace de temps 1 700. La charge des premiers a été en majeure partie, grains, légumes et vin, surtout de cette dernière denrée qui, occupant beaucoup d’espace, exige aussi un grand nombre de batiments. Les navires sortants sont pour la plupart en lest, à moins que ce ne soit dans la saison de la vente des huiles et des oranges ou des travaux de la parfumerie ; dans un autre temps, ils trouvent rarement des nolis pour le retour, si ce n’est peu de planches et de bois de sumac dont nous avons parlé. Ils pourraient actuellement charger de riz et des autres denrées du Piémont, en retour. On les dit même, au moment que j’écris, 25 frimaire an XI, très abondantes à Nice, mais soit par des mesures supérieures dont je ne connais pas les raisons, soit par une suite de cette basse jalousie qui règne entre ces 30 négociants de Nice et qui fait qu’ils nuisent sans cesse sourdement les uns aux autres, ce genre de spéculation n’a encore repris aucune activité.

On m’a assuré dans les bureaux du port et de la santé que ce mouvement était du double avant la guerre, et qu’il fut même quelquefois triple dans le temps que les armées étaient en Italie. Un grand nombre de grecs fréquentaient alors cette cote pour l’approvisionnement des troupes, qui ont ensuite repris leur destination ordinaire vers Marseille ; il n’y a plus guère aujourd’hui que les batiments des cotes de Provence, de Languedoc, et de la Ligurie, qui abordent au port de Nice lequel a reçu un échec si considérable dans l’ouragan du 30 brumaire an XI, qu’il devient inabordable s’il en éprouve encore un second.

Encouragement à donner au commerce de Nice

Quoique part la nature des circonstances le département des Alpes-Maritimes se soit suffit à lui-même durant la dernière guerre, par l’échange des denrées contre celles dont il a besoin et qui abondent dans les autres départements, il n’en est pas moins vrai que réduit à cette seule ressource il lui est impossible de prospérer. Les hommes et les capitaines lui manquant, il a besoin de continuer à être comme par le passé, un point nécessaire d’entrepôt et de transit des marchandises par le col de Tende, du Piémont en France, et de France en Piémont ; les Génois envieux de fixer chez eux ce passage, et leur port de Savone plus rapproché du Piémont que Nice, le soupire depuis longtemps ; mais si les Alpes-Maritimes perdaient cette source d’activité, de consommation et de rapports commerciaux, les effets ne pourraient en être que funestes.

Heureusement qu’on n’a même pas le moindre motif de les appréhender, car il est contre toute probabilité que la France faisant déjà à toutes les nations soumises, il y a dix ans, aux droits importants de Villefranche et de Monaco, l’abandon de ces mêmes droits, puisse jamais laisser, au préjudice particulier de Nice, dévier ailleurs le transit des marchandises par le col de Tende, pour enrichir l’étranger, en appauvrissant ses propres cités.

C’est d’après cette même impossibilité où se trouve Nice de faire de grandes affaires par elle-même, que cette ville soupire après un port de France. La concession d’un semblable privilège, uniquement pour les marchandises d’Italie et destinées pour l’Italie, ne semblerait pas devoir nuire à celui que réclame Marseille ; elle paraîtrait, au contraire, propre à établir un équilibre favorable au commerce français avec les ports francs de Gênes et de Livourne.

Si l’habitant de Nice manque de courage et de capitaux pour les hautes spéculations de commerce, la mer lui présente, en cabotage, des ressources multipliées et analogues à ses habitudes ; c’est vers elle qu’il doit tourner ses yeux, et diriger toutes ses pensées. Que ce soit pour son compte commissionnaire, ou au simple bénéfice du fret, il est toujours assuré d’un profit quelconque. C’est par là que sur un sol aride comme les Alpes-Maritimes, les Génois ont su se frayer un chemin à la fortune ; plus heureux qu’eux, sont un pavillon respecté sur toutes les mers. Le Niçard devenu français peut espérer à la même gloire s’il est aussi industrieux.

En attendant cette concurrence désirée dont la naissance ne me paraît pas très prochaine, il appartient à l’administration de régulariser et d’activer le commerce des objets que les batiments peuvent charger en retour. Je veux particulièrement parler des planches et solives que fournissent les forêts du département : on m’a assuré qu’on en exportait anciennement plus de la moitié en sus d’aujourd’hui, et que ce commerce passait annuellement 300 000 livres de Piémont. Trois maisons font ce commerce à Nice, et demandent à être favorisées dans les permissions de sorties, comme elles l’étaient sous l’ancien gouvernement. D’autre part, ainsi que je l’ai déjà exposé très au long, le régime forestier étant entièrement négligé dans ce département, les communes loin de ne vendre que les arbres qui ont au moins un mètre et demi de circonférence, vendent indifféremment jusqu’aux arbres d’un quart de mètre, et perçoivent en bloc, le prix de toute la coupe sans aucune vérification. Or, il est évident que cette mauvaise tenue tend à une destruction prochaine de tout ce qui reste de bois, au lieu qu’avec une bonne administration et une certaine latitude laissée aux commerçants, on aurait tous les ans un commerce bien nourri en bois de charpente, qui seul suffirait à remplir les retours.

Par ces moyens et par de bonnes routes dans l’intérieur, Nice et avec elle son département, pourraient espérer de sortir de la médiocrité.