Les principales villes du département

État des lieux des villes de Nice, Villefranche, Monaco, Menton, Sospel, Puget-Théniers et Utelle.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

Des principales villes du Département

Nice

Cette ville dont nous avons esquissé l’histoire dans notre introduction, n’occupa jadis que l’espace de la plaine de l’ancien château, ainsi que nous l’avons déjà insinué ; elle descendit peu à peu du haut du rocher, sur ses flancs et à sa base, fut ceinte de murailles flanquées de tours dont on voit encore quelques restes et divisée en rues étroites et très obscures, telles qu’elles le sont encore dans les vieux quartiers.

Elle doit son agrandissement et le peu d’agrémens qu’elle a aujourd’hui, à la ruine de son château, et aux progrès de l’art de la guerre, qui ont frappé d’une heureuse nullité les anciennes fortifications de tant de villes. Ce château commencé par les princes de la maison d’Aragon, achevé par ceux de la maison de Savoie, au commencement du 16ème siècle, après avoir été regardé comme le rempart de l’Italie, et avoir soutenu plusieurs sièges, fut enfin pris en 1706 par l’armée française, sous les ordres du Duc de Bervick, et entièrement démoli . Les guerres qui se succédèrent jusqu'à la prise d’Aix la Chapelle, en 1748 , ne permirent pas de s’occuper de l’agrandissement de la ville, mais depuis cette époque, il fait l’objet constant de la sollicitude des rois de Sardaigne.

Nice de ville militaire, devint ville marchande, elle eut un port et des franchises. Les jardins qui bordaient ses anciens remparts du côté du sud jusqu'à la mer, furent changés en rues larges alignées baties en édifices à la moderne et devinrent le plus beau quartier de cette ville. Ce quartier est terminé le long du rivage de la mer par une terrasse longue et gracieuse qui se réunit aux anciens ramparts et qui offre dans les tems une promenade riante et commode. Sur la même ligne et au dessous de la terrasse, du côté de la ville est un cours complanté d’ormeaux, qui sert aussi de promenade et tout prés de là une fort belle et grande place, appellée autre fois de Saint-Dominique et aujourd’hui, place Egalité.

Dans des tems plus modernes, Nice a encore été beaucoup augmentée, du côté du Nord, par une place très vaste et très régulière, entourrée de belles maisons avec des arcades tout autour, et au bout de cette place est la porte ou commence le superbe chemin qui conduit en Piemont. Cette place, ci devant appellée place Victor, se nomme aujourd’hui place République. Elle conduit au port, par un beau chemin, complanté en ormeaux il y a quelques années, pratiqué au-dessous du rocher du Château, comme la terrasse y conduit pareillement du côté du sud, par un chemin taillé dans ce même rocher.

Il faut environ 40 minutes pour faire le tour de cette ville, y compris celui du rocher du château, dont la base occupe presque autant d’étendue que la ville même.

Outre son enceinte, Nice a deux fauxbourgs considérables qui n’en feront bientôt qu’un, par l’empressement que l’on met a batir , dont le premier appellé fauxbourg de l’Egalité, n’est séparé de la ville que par le pont de Paglion, et dont l’autre un peu plus éloigné, sur le chemin qui conduit au Var, s’appelle de la Croix de Marbre, à cause d’une croix élevée en mémoire de la fameuse négociation qui eut lieu en 1538, hors des portes de Nice, entre l’Empereur Charles V, François 1er, et le pape Paul III. Ce fauxbourg bati en maisons élégantes, construites particulièrement pour les Anglais qui viennent passer l’hiver à Nice, s’agrandit chaque jour à vue d’œil, et tant par la propreté de ses édifices, que par les jardins d’orangers qui l’entourent, il donne réellement au voyageur, qui, de France vient à Nice, l’idée d’une ville opulente et délicieuse.

On conçoit de cette courte description, que la ville de Nice est bornée au sud, par la mer, à l’ouest, par le torrent de Paglion, à l’est, par le rocher du château, et qu’au nord, elle n’a d’autres limites que la campagne.

Telle est cette ville de Nice qu’on apperçoit du pont du Var, au bout d’un étroit rivage, long d’une heure et demie de marche, dont elle termine l’horison ; de là on voit les ruines de son château, celui bati sur Montalban, dominant ces ruines et le château de Villefranche, dominé lui même par les redoutes de Mont Gros ; si c’est dans la saison d’hiver, ses clochers paraissent, s’élevant sur une campagne toujours verte, annonçant déjà l’arrivée du printemps, dont les cimes des rocs pelés qui entourent cette côte, attestent au contraire l’éloignement par la neige dont elles sont couvertes. A mesure qu’on s’approche de Paglion, on découvre le bassin fait en plat à barbe, dans un des angles duquel la ville est batie ; bassin d’une circonférence d’environ trois heures, parsemé d’environ 1 000 maisons de campagne, et occupé en grande partie par la grave de Paglion et surmonté par les collines de Cimier, Rimier, Saint-Pierre, Féerie, Mont Gros, Mont Boron, Mont Alban, au milieu desquels Mont Calvo (Mont Chauve) situé au nord-ouest, élève une tête altière et continuellement pelée, ainsi que son nom le porte.

Protégée ainsi contre le nord-ouest, par les collines qui l’entourent de ce côté, Nice est à l’abri de ce terrible mistral qui désole et refroidit les cotes de l’intérieur de la Provence, elle doit peut-être à cette position seule la température plus douce de son climat ; mais elle n’échappe pas aux vents du nord et nord-est, qui y soufflent assez souvent durant l’hiver et le printems, et qui suppléent aux fonctions que les médecins provençaux ont attribuées au mistral de chasser au loin les vapeurs malfaisantes.

Les anciens habitans de Nice avaient soin de batir sur des endroits sus et à une grande distance perpendiculaire des eaux souterraines ; la ville vieille jouit de cet avantage, j’ai eu occasion d’examiner des fossez profonds qu’on fesait pour la construction de quelques maisons et le terrain quelque bas qu’on creusat, n’annonçait jamais le voisinage de l’eau ; c’est qu’il y a une pente assez considérable de la ville vieille à la ville nouvelle. J’ai vu dans ces fossez de vieux restes d’aqueducs en bois, qui atestent ce que dit Pierre Jofrédi , dans son Nicea Civitas C XI qu’en1561, les eaux de la fontaine de Riquier venaient jaillir dans les places publiques. Dans Nice nouvelle, au contraire, on est souvent forcé de batir sur pilotis, et l’eau des puits, dans le tems des pluies, s’y prend avec la main ; ce qui n’a rien d’étonnant, puisque ces quartiers se trouvent au niveau de la mer. Il résulte de ce voisinage de l’eau à la surface du sol, que les nouveaux quartiers sont moins salubres que les anciens, relativement aux effets de l’humidité sur l’économie animale.

Nice nouvelle avec son beau ciel est dénuée de toute sorte d’agrément et même des commodités les plus urgentes ; elle n’a qu’un pont étroit pour communiquer avec les faux bourgs, et les vieilles portes qui lui restent, ressemblent plutôt à l’entrée d’une cave qu’à celle d’une ville. Hors la terrasse et le cours dont j’ai parlé, elle n’a point de promenades, point d’abri contre l’ardeur du soleil, dans les chaleurs de l’été. Elle manque absolument de fontaines, et se contente de l’eau plus ou moins mauvaise des puits, tandis qu’entourée d’eaux vives, elle pourrait, avec une très petite dépense, les faire jaillir au milieu de tous les carrefours ; Paglion, depuis longues années, ravage un terrain précieux, et sa grave dépare au loin les plus belles campagnes et le quartier le plus fréquenté de la ville ; le niçard le voit avec un œil indifférent, il gémit des maux quand ils arrivent, et cependant l’expérience ne lui profite pas. Je ne puis m’empécher, à cet égard, de citer la conversation que j’ai eu un jour avec un des principaux de la ville, (qui se trouve précisément le descendant d’un des consuls qui firent venir l’eau dans Nice ancienne en 1561) et qui en fut un des derniers consuls ; on parlait d’embellissemens avec le préfet et je demandai pourquoi dans l’ancienne administration on ne s’était pas occupé de donner de l’eau à la ville, avec les fortes rentes qu’il y avait alors ; il nous répondit franchement, qu’il avait alors un plan facile et des moyens prets et qu’il refusa d’en faire usage parce qu’on lui fit retarder de 15 jours une charge qu’il demandait. Sur ce que je lui reprochai un égoisme aussi plat, il répondit sans rougir qu’il fesait gloire d’être égoiste. Je cite ce fait, parce qu’il est dans le caractère national ; qu’ici, on craint de faire la moindre chose pour le voisin, et que le pays serait dans l’abrutissement ou il était il y a 50 ans, époque ou l’on n’y connaissait pas encore l’usage du verre pour les croisées, si le gouvernement piémontais n’avait lui même commencé à tirer tout le parti possible du local.

Cependant la ville est susceptible d’un grand nombre d’embellissemens ; sous un gouvernement puissant et protecteur des arts de la paix, Nice verra bientôt des étrangers y aborder en foule et ne faire qu’une seule ville de la ville actuelle et de ses fauxbourgs ; alors, le torrent de Paglion sera encaissé ; des quais s’établiront de part et d’autre sur ces rives ; les deux parties de la ville communiqueront par des ponts larges et faciles ; les eaux de Riquier ou du Temple viendront jaillir au milieu des places et arroser les rues desséchées par les feux de la canicule ; le passant n’aura plus l’odeur infecte des cloaques si multipliées partout et ne sera plus obligé de se détourner du cadavre d’un animal domestique, abandonné sur la place ; les mille et plus de mètres occupés par le lit du torrent seront transformés en jardins odoriférans ; pendant la nuit, les rues de cette ville seront éclairées ; pendant le jour, des arbres placés à son entour, permettront de jouir en tout tems de l’air pur de sa campagne ; ces landes multipliées qu’on voit sur les bords de la mer, depuis Nice jusqu’au Var, outre d’être ombragées par des arbres qu’on plantera tout le long de la grande route, seront au moins employées a la culture de diverses plantes qui fournissent de la soude.

Nice, sous les rois de Sardaigne, était comme aujourd’hui la capitale de tout le pays ; ce ci-devant Comté formait deux provinces pour l’administration de la justice, mais il n’en fesait qu’une pour les parties administratives et judiciaires. Il y avait un sénat, un magistrat de commerce, un magistrat de santé, un juge mage, un intendant général, un trésorier général, un éveque suffragant de l’archevéque d’Embrun, un chapitre nombreux, quatre paroisses, neuf couvents de réligieux et quatre de religieuses, un gouverneur et un commandant de la ville.

L’instruction publique y était assez soignée relativement au genre d’études qu’on fesait alors ; il y avait un collége composé de quatre régens pour les basses classes, de trois professeurs pour les humanités, la rhétorique, la philosophie et d’un professeur de mathématiques ; en outre, pour faciliter les étudians en médecine, en chirurgie et en droit, qui devaient aller recevoir leurs dégrés à l’université de Turin, la seule des états de terre ferme des souverains d’alors, il y avait à Nice deux professeurs en chaqu’une de ces parties, soldés par le gouvernement, de sorte que leurs éléves pouvaient employer dans cette ville, deux années des cinq, qui les reglemens de l’université prescrivaient pour les études. Quand aux chirurgiens qui ne se proposaient d’excercer que dans le pays, ils recevaient leurs examens à Nice et il en était de même des apoticaires.

Les établissemens de marine étaient particuliérement à Villefranche ; le port de Nice avait sa franchise qui eut suffi pour le rendre florissant, si la puissance maritime du gouvernement d’alors eut été plus considérable. Il n’avait cependant rien négligé pour l’embellir et en faire un port sûr, mais il fut mal servi. De beaux édifices s’élevèrent sur la plage, partie des deniers de l’Etat et partie de ceux des particuliers ; on pratiqua dans l’épaisseur du mole qui regarde le port, des cuisines pour la commodité des marins, des magasins, des logemens pour les forçats, et au dessus un bureau pour la santé ; des chantiers étaient commencés, etc : mais depuis 12 ans que ces ouvrages beaux en apparence et peu solides dans le fond, ont été totalement négligés, ils tombent en ruines, ainsi que nous avons déjà eu occasion de le dire.

Les interets de la ville de Nice et la police étaient administrés par un Conseil municipal, composé de trois ordres savoir de la noblesse, des negocians et marchands et des artisans et paysans ; le premier ordre avait seul le pouvoir et les dignités supérieures.

Aujourd’hui Nice est la résidence d’un préfet, d’un tribunal criminel, d’un tribunal de première instance, de deux justices de paix, d’un évêque suffragant de l’archevêque d’Aix, d’un général commandant le département, d’un commandant d’armes, d’un receveur général, d’un payeur général et de tous les chefs de la partie financiére.

Il y a un tribunal, un conseil et une bourse de commerce, un corps de courtiers, un corps d’avoués pres les tribunaux, une école centrale composée de huit professeurs y compris le bibliotécaire qui vient d’être supprimé, une société d’agriculture, un collége de pharmacie, une commission de santé et de salubrité publique instituée par les soins du général Chateauneuf Randon, préfet actuel, et approuvé par le ministre de l’intérieur, laquelle, avec le préfet, remplit les fonctions du magistrat de santé d’autre fois, établissement vraiment indispensable dans ces contrées. La police est exercée par un commissaire particulier sous l’autorité du maire.

Villefranche

Cette petite ville, d’environ 300 maisons, batie en amphitéatre à l’ouest de la rade de ce nom, au milieu des rochers qui tapissent cette cote, n’a par elle même rien de remarquable, excepté que le climat en est plus chaud que celui de Nice, puisque les citronniers y sont tous cultivés en plein champ, et que toutes les récoltes en sont plus hatives.

Mais Villefranche était le premier port du roi de Sardaigne, et elle mérite notre attention par les édifices consacrés à l’usage de la marine et qui n’ayant tenté la cupidité de personne, ont été heureusement conservés intacts à la République, tandis qu’à Nice, les bâtimens les plus remarquables ont presque tous été vendus ; tellement qu’on est en peine aujourd’hui d’en trouver pour un service public, et que l’édifice consacré à l’école centrale, le plus mauvais de tous, tombe en ruines, n’ayant qu’une salle en état pour l’instruction.

Les batimens à l’usage de la marine, dans la rade de Villefranche, sont 1er une maison de force, commencée par les Français en 1744, et achevée par les rois sardes, propre à loger 800 forçats ;

2ème est attenant à celle ci, un grand magasin appellé magasin de commerce, destiné a contenir les effets de carénage et autres ;

3ème un arsenal très considérable, ayant une bonne et grande forge, et des magasins spacieux pour la construction des voiles ;

4ème un autre grand magasin qui servait d’entrepot aux mats et aux agrêts de vaisseaux ;
5ème un hopital assez vaste qui servait aux forçats et qui peut contenir 200 malades ;

6ème un batiment destiné à servir de casernes, pour 800 hommes, ayant au rez de chaussée 6 grands magasins très secs, qui étaient destinés aux approvisionnemens de bouche et à renfermer les tonneaux de goudron ;

7ème une belle et grande corderie couverte, qui peut encore être allongée jusqu’au château, pour les plus longs cordages ;

8ème une autre corderie non couverte, ou l’on peut faire des cables de toute longueur et de toute grosseur ;

9ème un vaste batiment sur le quai servant jadis à l’administration (illisible) six grands magasins au dessous ;

10ème pour l’usage de la marine il y avait une belle fontaine d’une eau abondante intarissable, conduite par un aqueduc entretenu par l’ancien gouvernement, qu’un particulier a détourné abusivement pour son usage.

Tous ces édifices occupés jadis par environ 1000 personnes tant de la marine que de différentes armes de terre, vivifiaient la petite ville de Villefranche, et lui donnaient un ton qui la fesait, à ce qu’on dit, disputer de splendeur avec Nice ; d’ailleurs, comme presque les trois quarts de la population retiraient constamment une solde du gouvernement, et que les divers emplois se perpétuaient dans les familles, cela joint à la franchise du port procurait aux habitans une aisance assurée. Tous étaient marins, charpentiers ou soldats.

Aujourd’hui ils n’ont plus ces ressources, et la population a diminué. Ces beaux batimens de la marine, bati avec gout et solidité, sont frappés de nullité et dépérissent chaque jour. Les employés salariés sont reduits à un commis du sous commissaire de marine de Nice, deux gardiens de l’arsenal, un lieutenant du port, un gardien et un secrétaire de santé, un juge de paix et son secrétaire, un receveur des douanes avec 25 gardes.

Cependant, je le dirai encore, la rade de Villefranche et sa Darse, ne sont pas à négliger, puisqu’elles fournissent des avantages qu’on ne retrouve pas sur cette cote, depuis Toulon. La proximité du Piémont, ou les chanvres sont abondans, pourrait alimenter un atelier considérable de cordages et de voiles, à un prix très bas.

La construction d’une seule frégate, tout les ans donnerait au pays de l’occupation pour toute l’année ou (illisible) les ouvriers nécessaires, tels que charpentiers, (illisible) manouvriers, cordiers, constructeurs etc… On pourrait y amener du bois de construction du département dont on a parlé à la première section.

Il ne serait pas moins avantageux pour cette population active et laborieuse, qu’utile au commerce, d’avoir dans les magasins de l’arsenal, un fond de fournitures de marine. Un vaisseau qui, battu par la tempête, aurait été dématé etc… trouverait ainsi un local propice et des matériaux pour se radouber, etc, au lieu que depuis Toulon, jusqu’à Gênes, les marins ne rencontrent nulle part cet avantage.

Au sud ouest de Villefranche, est un château fort, situé au pied de la montagne de Mont-Alban, aussi bati par des Français en 1744, dominé par le fort Mont-Alban, et peu propre à soutenir un siége. Il était autre fois la résidence d’un gouverneur ; il y a aujourd’hui un commandant avec quelques invalides.

Quand on a été à Villefranche, on ne doit pas en partir sans avoir visité la péninsule de St Ospice. Cette péninsule qui s’avance dans la mer formant deux pointes, l’une tournée vers Villefranche, appellée le fare, l’autre St Ospice , du nom de ce saint qui y a fini ses jours, tournée vers le golfe de St Jean, est une plaine délicieuse, presqu’entièrement cultivé, est qui n’a d’autre désavantage que d’être recouverte dans les gros vents, par les eaux de la mer, sur les cotes. On y arrive par un petit chemin, au milieu des carroubiers et des oliviers ; on rencontre d’abord la madrague dont je parlerai ailleurs ; puis on trouve les ruines d’un fort, fait au quarré long, qui a été rasé et qui était fort propre à défendre la cote, n’étant dominé de nulle part, et ne pouvant être attaqué que par mer ; il y reste une tour qui sert aux signaux : de là on arrive à la chapelle au saint (illisible) les sarrasins et autres babares habitèrent long tems cette cote ; mille souvenirs, mille idées bizarres et opposées se présent à votre esprit tandis que vos yeux admirent cette mer magnifique qui vient briser contre le rocher sur lequel vous réfléchissez ; en revenant du coté opposé vers Villefranche on trouve le fanal, octangle monté de deux étages avec des galeries en fer et une lanterne en état d’environ quinze mètres d’élévation. Là sont aussi des bateries pour protéger la cote. Cette péninsule est habitée par plusieurs familles de pécheurs, bonnes gens et jouissant d’une honnête aisance.

Monaco

Qu’on s’imagine un rocher presque rond, s’avançant dans la mer, sur la cime duquel sont quelques habitations et l’on aura une idée de cette ancienne capitale du plus petit des états ; un autre rocher appellé Tête de chien domine lui même celui de Monaco. Il faut se détourner de la grande route pour y arriver, gravir une montée pénible et passer sur plusieurs ponts levis avant de pénétrer jusqu’à la dernière porte de la ville. Je m’y présentai à pied, suivi d’un garçon qui portait mon petit équipage, et j’en fus éconduit par deux paysans qui gardaient la ville, et qui ne sachant pas lire mes papiers ne purent jamais concevoir que je ne fusse un déserteur qui venait volontairement s’enfermer dans une ville isolée et murée. Je m’avançai cependant jusqu’à la place du château, l’unique de la ville et je me vis bientôt entouré de toute la population. Le maire, qui fut appellé, et a qui je présentai ma commission, regardant tantôt sa veste de soie et tantôt mes habits chargés de poussière et de sueur ne jugea pas mieux de moi que ses gardes.

Le château des anciens princes du pays est l’unique monument de cette ville, ses murs ont une apparence antique ; son interieur est orné de plusieurs belles peintures à huile entièrement dégradées dans ces derniers tems ; c’est domage que ce bel édifice soit inhabité, et tombe chaque jour en ruine ; il pourrait servir à un grand établissemens d’instruction, ou à un usage militaire, ce qui vivifierait un peu la ville, dont les habitans sont entiérement oisifs.

Monaco n’a d’autres eaux que celles des citernes, dont il y en a cinq au château ; mais en bas du rocher, il y en a beaucoup venant des montagnes voisines, qu’il ne serait pas difficile de faire monter à la ville.

Ses anciens souverains y avaient fait tout le bien possible ; chaque habitant avait presque un emploi, et se divisait les revenus du prince ; il y avait une espéce de college entretenu par l’Etat, composé de deux instituteurs, dont l’un enseignait les principes, et l’autre les belles lettres jusqu’à la logique. Un hopital militaire pour le service de la garnison. Le service de la marine, consistant en un petit batiment, destiné à faire payer certains droits aux navires qui passaient, occupait plusieurs personnes. Le commerce et les manufactures consistaient en une fabrique de tabac qui existe encore et en l’achat des comestibles pour la population.
Monaco est aujourd’hui le siège d’une sous-préfecture, d’un tribunal de première instance, d’une justice de paix, d’un commandant d’armes et d’un lieutenant du port.

Menton

Monaco était la capitale, et Menton était la principale ville de ce petit état ; la première avait les parchemins de la noblesse et des dignités, mais la seconde avait les richesses. Cette ville que je regarde aujourd’hui comme seconde du département a vraiment l’air d’une cité opulente ; on y trouve une rue toute peuplée d’artisans de différens métiers, ayant boutique ouverte et travaillant comme dans une grande ville. Il y a une vingtaine de négocians opulens et une grand nombre de marins.

Cette ville avait pourtant été négligée, et n’a ni foire ni marché ; l’un et l’autre de ces établissemens lui serait utiles, ainsi qu’aux petites communes voisines qui en sont aussi dépourvues ; le premier pourrait avoir lieu le lundi de chaque semaine, et quant aux foires il serait bon d’en mettre deux, une le premier lundi après Paques, et l’autre la veille de la Toussaint. Ces foires pourraient attirés les habitans des communes liguriennes qui sont au voisinage.

Menton avait un collége, soldé par la ville, composé de cinq régens, enseignant le latin, la rhétorique, la philosophie ; elle n’a aujourd’hui aucun établissement d’instruction.
Elle était le siége d’un gouverneur, d’un juge et d’un magistrat des citrons, tribunal analogue à celui des prud’hommes, et que la nécessité a inventé dans un pays ou les citrons sont la principale richesse ; cette espéce de magistrature, tres ancienne était un intermédiaire entre le peuple et les marchands, pour soutenir les citrons à leur juste valeur et désigner les endroits ou l’on pourrait en commencer la cueillette. Elle a aujourd’hui un juge de paix et elle réclame ce même magistrat des citrons, pour se soustraire au monopole des principaux commerçans.

Le pays est beau, le ciel est doux, les habitans sont maniérés, avec cela, lorsqu’on a vu le peu qu’il y a à voir, on se sent un besoin pressant d’aller plus loin.

 

Sospello

Ville ancienne, qui fut autre fois république indépendante, et dont les habitans obtinrent par leur génie guerrier, différens priviléges des souverains successifs des Alpes-Maritimes. Batie au pied du col de Brouis, ses avenues étaient défendus par vingt quatre chateaux dont cette montagne et les montagnes circonvoisines étaient, à ce qu’on dit hérissées. Aujourd’hui démentelée, et la proie de quiconque a les hauteurs, elle n’est plus remarquable que par le souvenir des guerres que la liberté y a soutenu contre les comtes de Tende, de Beuil, le marquis de Dulceaqua, et autres petits tirans d’alentour.

La maison de Savoie conserve à Sospello le titre de chef lieu de viguerrie comprenant 30 communes qui dépendaient de ses tribunaux ; cette ville était par conséquent le siège d’un juge mage, et d’un lieutenant, d’un avocat fiscal et de tout ce qui s’en suit. Elle avait ses écoles montées comme celles de Nice ; un collége complet, avec huit professeurs ou régens, dont six aux fraix du gouvernement, et deux, à ceux de la commune ; on y conférait le dégré de maitre-es-arts, et la ville jouissait de deux bourses au collège des provinces de Turin ; de plus on pouvait, comme à Nice y commencer les études de médecine et de droit, car il y avait un professeur d’instituts de médecine, et un d’instituts de droit, soldés par le gouvernement. La ville avait encore d’autres priviléges, tels que celui, que le logement des troupes et les cazernes étaient entiérement aux frais de l’Etat.

Les arts et le commerce y ont toujours été fort peu connus, et même peu estimés ; la culture des terres, la guerre, l’état ecclésiastique, les emplois de justice, ont fait de tous les tems la principale occupation des habitans, surtout les emplois de justice pour lesquels les individus s’étaient si forts multipliés, qu’on compte encore à présent à Sospello 30 avocats, 8 procureurs ou avoués, 8 notaires, et une multitude de clercs, de huissiers, etc. etc. Aussi aujourd’hui que les tems ont frappé de nullité ces professions et autres, rien n’annonce plus la mort d’une ville que les rues tristes et silencieuses de Sospello ; selon moi, la rue des ouvriers de Menton vaut plus que toutes celles de Sospello.

Cependant, je dois dire, d’après la connaissance que j’ai des lieux et des individus, qu’on a commis une injustice envers cette ville, en ne l’établissant pas d’abord chef lieu d’arrondissement, et ensuite de sous préfecture ; 1ère elle en avait le droit, puisqu’elle avait été de tout tems chef lieu de province ; 2ème on y trouvait tout prêt, les hommes et les choses, pour les établissemens de justice ; 3ème ce point est infiniment plus central que Monaco, qu’il faut aller chercher à l’extrémité de l’arrondissement, et qui, ainsi que les autres communes maritimes, conviendrait infiniment plus à l’arrondissement de Nice.

La circonstance de la guerre, et non la division géographique, décidèrent dans les premiers momens de la réunion des chefs lieu d’arrondissement ; Monaco et toute la cote occupées d’abord, eurent la préférence tandis que Sospello, tantôt aux ennemis, tantôt aux Français, fut négligé ; mais a présent qu’on peut poser avec tranquilité les diverses circonscriptions, d’après la nature des lieux et les besoins des administrés, on ne peut refuser à Sospello le siége d’une sous préfecture et d’un tribunal de première instance, puisque cette ville est centrale, dans un rayon de 6 à 7 lieues, de plus de 25 communes, dont plusieurs doivent employer, en été, 14 à 15 heures pour arriver a Monaco, et un tiers de plus en hiver.

Je n’exprime d’ailleurs ici, que le vœu unanime de toutes ces communes, auquel j’ajouterai la considération importante d’une diminution de frais pour l’Etat, dans l’audition des témoins.
On peut donner à Nice, toute la partie méridionale, depuis Saint-Martin-du-Var, jusqu’à Menton, sur une ligne perpendiculaire de 5 à 6 lieues ; à Sospello, toute la partie septentrionale et orientale, depuis Roccabiliera jusqu’à Menton ; à Puget Théniers toute la partie occidentale depuis Venanson.

Par cette nouvelle circonscription, la ville de Sospello, qui n’est plus qu’un amas de maisons négligées et malpropres, sombres comme leurs habitans, reprendrait une place d’honneur parmi les villes du Département.

Sa position sur la grande route du Piémont pourra, à la longue y amener l’industrie ; on pourra quelque jour en exploiter les carriéres de marbre et d’albatre, les mines de charbon de pierre et de vitriol de fer ; la montagne de Braus sera toujours un grand obstacle pour les transports des matières pesantes ; mais il est un moyen plus facile de se rapprocher de la mer, par la route de Sospello à Menton ; cette route dont j’ai parlé à la première section, et qui a été commencée par l’ancien gouvernement, présente trop d’avantages pour qu’elle reste imparfaite. On pourra aussi, lorsqu’on sera devenu plus industrieux, tirer quelque parti de la Bévera.

Puget-Théniers

Cette petite ville divisée en deux portions par le torrent de Roudoule sur lequel il un a un pont de pierre assez propre, bien bati, avec un air d’aisance et d’urbanité parmi ses habitans fut une de celles à qui la malheureuse reine Jeane avait accordé entr’autres priviléges, celui de se révolter si on cherchait à l’inféoder ; ce privilége et autres furent confirmés par la maison de Savoie, jusqu’en 1716.

Le Puget fut jadis chef lieu de viguerie, ville murée avec un château fort dont on voit encore les vestiges sur un rocher voisin, et un gouverneur. On dit qu’il était du double plus peuplé, mais qu’une inondation survenu en 1600 obligea la plus grande partie des habitans à s’expatrier en Provence et en Piémont. Il était devenu ensuite ville marchande, et je présume que son voisinage avec Entrevaux qui appartenait à la France, devait y favoriser le commerce interlope dont il y a apparence qu’on tirait un grand parti, ainsi qu’à Entrevaux.

Ce pays a plus gagné que perdu à la révolution ; il n’avait aucun établissement public ; il est aujourd’hui le siége d’une sous-préfecture et d’un tribunal d’appel ; il ne lui manque plus qu’un établissement d’instruction, pour laquelle il avait deux maitres, en 1790, payés par la commune.

Son industrie et son commerce ont augmenté ; il a des foires et des marchés beaucoup plus fréquentés qu’autrefois, par la facilité qu’ont les départements voisins d’y venir ; là se vendent des bestiaux, des comestibles de tout genre, des draps et des laines du pays, et surtout des oignons, dont le bon gout et la bonne espèce donnent une certaine célébrité au Puget.

Là, on trouve le germe de quelques manufactures grossières il est vrai, mais attestant l’industrie d’un peuple qui n’a besoin que d’encouragemens pour se perfectionner et à l’administration du quel le sous préfet, le citoyen Blanqui, donne toute l’attention d’un magistrat sage et éclairé. Enfin, après avoir erré quelque tems sur les montagnes voisines, on arrive avec plaisir au Puget, on sent, au langage et aux mœurs des habitans, qu’on y est en France, et l’on en part avec plus de regret que de toute autre ville ou village du Département.

Utelle

Cette petite ville faite exactement comme un L, ainsi que son nom le porte, a fixé mon attention par sa propreté, sa petite place carrée, sur laquelle est son église, son hopital, sa maison commune, quelques portiques par quelques restes d’antiquités, et par la vivacité de ses habitans.

L’élégance de son église, l’ordre et la bonne tenue de son hopital, la commodité et l’arrangement de la maison de ville, l’air d’aisance de quelques maisons, annoncent qu’un esprit d’ordre et de méthode avait régné anciennement plus particulièrement dans cette commune que dans beaucoup d’autres.

Ses armes étaient une ourse pleine, pour annoncer l’élévation et l’apreté du lieu sur lequel la ville est située. Aussi y a-t-il sur la pointe d’un rocher voisin un sangtuaire fameux par les miracles que la pieuse crédulité lui attribue : de quelque coté qu’on veuille se rendre à Utelle ou a son sangtuaire, ce n’est qu’à travers des horreurs et des précipices qu’on y arrive ; le chemin de part et d’autre est taillé dans le roc vif.

Utelle dans les temps barbares, était une place forte ; la population logeait entièrement dans une espèce de citadelle dont il reste encore des murs en pierre de taille, le clocher actuel en était la tour placée à côté du pont-levis dont il ne reste plus que l’éperon. On ne commença à batir hors cette enceinte, qu’après que les Gots et les Vendales eurent cessé leurs incursions dans ce pays.

La population était alors de 5000 ames, y compris celle de 5 villages qui dépendaient d’Utelle, et dont quelques uns ont disparu. Elle a été successivement réduite à 3000 par suite de l’éboulemens de villages entiers, arrivés dans le milieu du 17ème siècle ; ensuite à 15 et 16 cents par la cessation de toute industrie, et l’introduction dans le pays de la préférence donnée au célibat, ainsi que nous l’avons déjà remarqué.

Utelle fut d’abord un pays libre et conquérant ; sous les ducs de Savoie, et devint marchand, parce qu’il était sur la route de Nice à Barcelonnette, et qu’il servait d’entrepot aux marchandises ; on y voit encore un grand nombre de vestiges de boutiques qui annoncent son ancienne industrie. L’échange de Barcelonnette contre sept à huit misérables villages et une petite ville encore plus pauvre, arrivé en 1738 ayant fait cesser tout commerce, les habitans d’Utelle livrés à eux mêmes se tournèrent vers l’état ecclésiastique unique ressource d’alors, et le nombre de prêtres devint considérable. Cet esprit de dévotion qui avait succédé à l’esprit guerrier, produisit cependant un bien que l’autre n’avait jamais fait : des célibataires riches mirent au nombre des œuvres pieuses, et avec juste raison, la fondation des hopitaux et des écoles d’instruction ; je dois même dire, que c’est uniquement à cet esprit qu’on doit toutes les fondations de bienfaisance du département mais il a diminué la population ; ainsi le sort du monde est qu’un mal se trouve toujours à coté d’un bien, heureux qui pourra faire l’application du juste milieu !

Peu de peuplades du département ont autant d’intelligence et de disposition aux sciences, comme celle d’Utelle ; on dit qu’avant la guerre, ces habitans joignaient à ces qualités, la guaieté, la franchise, la générosité et l’amour du travail. Pour aujourd’hui, leur naturel est sombre, crapuleux, oisif, porté au brigandage et à la cruauté ; il est peu de routes, ou il se soit commis autant d’assassinats comme dans celles qui y aboutissent. Livrés à la nature, ils sont redevenus tels qu’ils étaient quand ils se terraient renfermés dans leur citadelle, pour n’en sortir que pour butiner.

Utelle ne peut avoir d’autre ressource que celle de ses oliviers, dont l’huile est une des meilleures du département. On y fesait avant la guerre, environ 311 kilogramme (1000 livres) pesant de soie ; mais tous les muriers, ainsi que les autres arbres, à part les oliviers, ont été coupés par les troupes des deux armées qui ont campé longtems sur ce terroir. C’est le siége d’une justice de paix.

Les autres petites villes n’ont absolument rien de remarquable