L'arboriculture de l'olivier, du citronnier, du carroubier...

Oliviers, orangers et citronniers, plantes indigènes des campagnes de Nice, Villefranche, Monaco, Roquebrune et Menton. Le caroubier, espèce très productive et requérant peu de soin, ami des terres incultes. Le châtaignier et son fruit, équivalent du pain pour l’habitant des montagnes.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

L’arboriculture de l’olivier, du citronnier, du carroubier etc. et de leur culture.

L’olivier est la vraie plante indigène du département des Alpes-Maritimes ; il y végète aussi facilement que les sapins dans les pays froids ; il y parvient à une grosseur et à une hauteur égale à celle des plus beaux noyers.

Les principales espèces d’oliviers de ce département sont les suivantes que je nomme en langue du pays, et qui ne diffèrent l’une de l’autre que par la largeur plus ou moins grande des feuilles, et par la forme et la grosseur plus ou moins considérable du fruit.

1èrement Le Nostral (Picholina), espèce la plus commune, olives médiocres, oblongues, servant à faire l’huile.

2èmement La Puncia nera (Salierna), petite olives, dont on se sert pour saler et aussi pour faire de l’huile, mais qui n’en donne pas beaucoup.

3èmement La Columbana (le Royal), la plus grosse de toute et qui donne beaucoup d’huile, on la salle pareillement.

4èmement Le Broquench (Cayanne), fruit rond, ne rendant pas autant l’huile que les Nostrales.

5èmement La Sauvage, qui donne peu d’huile, mais d’une qualité super fine.

6èmement La Batoline, petites olives rondes, participant du sauvage.

Chaque canton de la Provence et du Languedoc donne au même olivier des noms différents ; on peut rapporter au Nostral de Nice, l’olivier de grappe, ou le Caione, mentionné le premier dans le mémoire de monsieur Bernard, couronné par l’Académie de Marseille : quant aux autres variétés, il eut été trop long de les rapporter à celles de la Provence, et j’ai préféré de les nommer simplement telles qu’elles sont connues dans ce département. Ceux qui voudront établir les identités, peuvent consulter l’excellent recueil de l’académie précitée, sur les oliviers, imprimé à Aix, en 1783. On y trouvera des différences d’avec ce que j’ai écrit, mais on sentira que mon but était de décrire ce qu’il y a et ce qui le fait ici, et non ce qu’il y a et ce qui le fait ailleurs.

L’olivier se produit 1èrement par la plantation de son noyau, 2èmement par celle d’une branche d’olivier sauvage, ou greffé, 3èmement par les rejetons qui sortent du tronc. Mais il ne convient guère d'en faire des pépinières par la plantation des noyeaux, à cause de la lenteur de son accroissement, il vaut mieux planter des branches, et mieux encore de drageons enracinés ; c’est-à-dire, des branches emportées de la souche mère, avec un peu de racine, car par ce moyen, on a des arbres tous formés au bout d’un petit nombre d’années.

On greffe l’olivier au mois de germinal en coin ou en écusson, avec toute autre espèce d’oliviers mais il ne souffre la greffe d’aucune autre qualité d’arbres.

Il est fort lent à croître ; un arbre provenant de semence n’est guère susceptible de donner la moitié de son produit, qu’à l’age de 50 ans ; en échange il vit des siècles, si le froid ou quelqu’autre accident ne le détruise pas.

Toutes les terres sont plus ou moins précoces et plus ou moins propres à le produire, excepté les marécageuses ; les plus beaux arbres sont dans les terres fortes et arrosables ; ainsi, à Nice, les quartiers de Saint-Roch et de Riquier, ont les plus beaux fruits et les plus productifs ; mais les meilleurs fruits et la meilleure huile, viennent des oliviers qui croissent sur des terrains secs et légers ; ainsi les oliviers des collines de Périnaldo donnent une huile excellente qui ne le cède à aucun autre ; en général, les terres, ou il se fait le meilleur vin, donnent aussi la meilleure huile ; ces oliviers, il est vrai, sont toujours plus petits.

Culture de l’olivier

Les oliviers se plantent alignés, tant dans les champs uniquement destiné à leur culture, que dans les terres ensemençables ; ils doivent avoir entre eux, au moins cinq mètres de distance, de tous côtés. On en laboure le sol, tous les ans, dans les mois de germinal et floréal ou avant, et on les élague au moins chaque deux ans, en vendemiaire et brumaire, ou en ventose et germinal ; mais ils peuvent et doivent être élagués du bois sec pendant toute l’année, et les bons agriculteurs assurent qu’un arbre point ou mal élagué, quoique bien fumé et labouré, ne donne ordinairement que la moitié de son produit.

Pour que les oliviers rendent, le labour doit être profond et fait régulièrement tous les ans ; il faut avoir soin de couper les barbes ou petites racines qui se portent au loin, vers la surface de la terre ; les bons agriculteurs condamnent avec juste raison, l’habitude presque générale, de relever une grande quantité de terre sur le tronc de l’arbre, dans la fausse supposition que cette enveloppe le tiendra plus frais ; car il est évident que l’arbre, à sa souche, ne pousse jamais de racines capillaires qui sont celles par lesquelles il se nourrit, mais que ces suçoirs n’existent que le long des racines, et qu’ainsi c’est particulièrement au tour de la periphérie de l’arbre, qu’il faut remuer la terre.

L’olivier ne souffre jamais de trop d’engrais ; il faut au contraire, lui en donner beaucoup. Dans la campagne de Nice, les oliviers se fument avec les excrémens humains portés dans des barrils, à dos d’ânes ou de mulets ; avec une charge de ces derniers, on fume généralement deux ou trois oliviers, ceux qui ont assez de facultés pour le faire, fument leurs oliviers avec des morceaux de vieux cuir, de vieux souliers, des chiffons de laine, des restes de voieries, etc. ou avec du fumier des écuries, en y ajoutant en même temps un peu d’excrémens humains, car, comme je l’ai déjà dit, l’engrais animal est ce qui convient le plus à l’olivier. On y fait aussi parquer les brébis, et 150 de ces animaux fument chaque nuit, 3 oliviers en plein champ, ce qui vient à couter 6 francs par nuit. Dans la vallée d’Oneille, où les oliviers sont de toute beauté et d’un très grand produit, on les fume avec des chiffons de laine, qu’on fait venir à grands frais de l’étranger. On en met à chaque arbre pour la valeur de 12 francs tous les 4 à 5 ans.

C’est avec autant de fondement qu’on peut faire ici aux cultivateurs le même reproche que nous leur avons fait pour le labour ; ils fument leurs oliviers, en entassant le fumier dans un creux fait exprés, tout-à-fait contre le pied de l’arbre, ils devraient au contraire l’étendre sur le terrain, au dessous des branches de l’arbre, et pour toute l’étendue qu’elles recouvrent, retournant ensuite leurs terrains, au moins à la profondeur d’un quart de mètre.

Production de l’olivier

L’olivier ne donne abondamment du fruit que tous les deux ans. L’année de repos, il produit à peine la huitième partie de sa charge ; cependant il n’en donne pas moins les mêmes frais de culture.

Un hectare ou arpent peut contenir 150 pieds d’oliviers, chacun desquels peut produire, commune faite sur 10 années, 7 kilogrammes 8 hectagrammes (un rub) d’huile pour la campagne de Nice ; 3 kilogrammes 9 hectagrammes (1/2 rub) pour les bien-fonds venant après, et 2 kilogrammes 6 hectagrammes (un tiers de rubs), pour les terres inférieures ; de sorte que ces 150 arbres bien cultivés et dans toute leur vigueur donneront chaque année, dans la campagne de Nice, d’après le calcul ci-dessus, 1169 kilogrammes (150 rubs) d’huile ; que le propriétaire divise avec son métayer, ainsi qu’on le dira dans la suite.

Il est certainement des arbres très gros, qui dans une bonne année donnent jusqu’à 31 et même jusqu’à 38 kilogrammes (4 à 5 rubs) d’huile, mais ils sont rares, et l’olivier étant sujet à diverses vicissitudes, on ne doit jamais juger de son produit par des cas particuliers, mais bien d’après une mercuriale d’un grand nombre d’année, et d’après ce qu’il y a de plus commun dans la grosseur et la portée des arbres.

Frais de culture des oliviers

Un hectare complanté d’oliviers, au nombre susdit, coûte en frais de culture, ci-après :

Pour le labour, calculé sur un terrain moyen 70 francs
Pour l’élaguement compté à moitié par années 60
Pour l’engrais porté sur les lieux, distance modérée 264
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Total 394 francs

Pour la cueillette des olives, on secoue l’arbre, et ou on ramasse le fruit à terre ; hommes, femmes et enfants, tous s’emploient à cette cueillette, à mesure que les olives tombent ou qu’elles sont secouées. On paye ordinairement 75 centimes (pour chaque settier) par 40 livres d’olives ramassées

Frais de récolte 160 francs
Frais de confection des huiles, pour ceux qui
n’ont point de moulins 60

Ces deux sommes ajoutées à la précédente donnent donc pour frais de culture de 150 oliviers, et pour dépenses qu’ont nécessité les 1 169 kilogrammes (150 rubs) d’huile rendue à la maison un total de 614 francs

Maladies et accidents des oliviers

Indépendamment de la hache du soldat, en tems de guerre, qui a coupé dans celle de 1744 la plus grande partie des oliviers de la campagne de Nice, et des communes de Berra, Coaraza, et autres environnantes, (les oliviers d’aujourd’hui, n’étant que des rejetons fort gros) et qui dans celle dont nous venons de sortir, en a détruit plusieurs, partout où les armées ont été stationnaires, dont à Breglia seulement 7 000 ; indépendamment dis-je des accidents de la guerre, cet arbre quoique assez résistant dans son tronc et ses racines, est sensible dans ses branches à toutes les intempéries des saisons, surtout s’il est placé dans un climat chaud. On m’a fait remarquer à Roccabiliéra, dernier pays de la Visubie où l’on cultive les oliviers, que ceux de ces arbres qui sont exposés aux vents du sud et de l’est, sont infiniment plus sensibles au froid, et plus sujets à périr, que ceux qui sont sans cesse sous les vents du nord-ouest. Puis une petite pluie, un vent froid, une brume venue mal à propos enlèvent souvent la récolte entière. Si après une neige ou une pluie, il survient une heure de froid rigoureux cela suffit pour geler tous les fruits, les jeunes pousses et même les branches déjà fortes ; en 1709, cet accident est arrivé à un grand nombre d’arbre, et on a courru le même risque en l’an IX. On en a pourtant été quitte pour perdre les fruits qui ont gelé en partie, et pour une grande quantité de branches et même d’arbres entiers, que le poids de la neige a jeté par terre, ce qui est toujours une très grande perte pour un pays dont la plus grande ressource est dans ses oliviers.

Les oliviers sont attaqués par diverses espèces d’insectes qui se nichent soit dans le fruit, soit dans l’écorce dans la substance même de l’arbre. Le Cinips oleac, en langue du pays cairon, pique l’olive dès qu’elle a acquis la grosseur d’un grain de chapelet, et y introduit ses œufs qui, à peine éclos, se nourrissent de la pulpe du fruit, et finissent pas la consumer entièrement ou en bonne partie. On a suivi les diverses métamorphoses de cet insecte en tenant une branche d’olivier chargé de fruits piqués dans une bouteille, et l’on en a vu sortir l’animal parfait, à quatre ailes transparentes. On soubçonne cependant (car on n’en a pas encore une description assez exacte) que ces insectes font deux famille chaque année, ou que peut-être une autre espèce succède à la première, en vendemiaire, laquelle produit les mêmes maux.

Une espèce de Cassida et un Staphilin ravagent les arbres en se nichant le premier entre l’écorce et l’aubier, et le second dans le cœur même de l’arbre, au dire de plusieurs cultivateurs qui m’ont assuré l’y avoir vu sous la forme d’un gros ver ; j’ai vu plusieurs fois les Staphilins produire des galles considérables, à rendre l’arbre étique. Je vais détailler les observations que j’ai faite avec le plus grand soin sur ces maladies des oliviers, dont la multitude m’avait pénétré de douleur.
L’arbre qui commence à être infecté se recouvre d’une poussière noire, qu’on appelle la morféa, probablement produite par la Cassida qui se nourrit sur les feuilles, laquelle occupe entièrement ses branches et ses feuilles ; on n’a pas encore pu déterminer la nature de cette poussière, savoir si elle n’est autre chose que l’excrément des insectes, ou si elle est autant de petits insectes ou seulement une plante parasite. Malgré cette poussière, l’arbre produit encore, mais elle est le précurseur de son inutilité prochaine ; bientôt, en effet, on observe particulièrement dans le parenchime de la feuille et des bourgeons, le nid d’un insecte. Cet insecte est d’abord blanc comme un petit pou, il se nourrit ensuite, et s’écrase facilement en le touchant ; quand on secoue l’arbre et qu’il en tombe sur les mains il y produit une démangeaison douloureuse et des échoboulières successivement. Les branches se dessèchent et se recouvrent de grosses rumeurs, les feuilles se crispent et se roulent sur elles-mêmes, et lorsqu’on les détache, elles se réduisent en poussière dans les doigts. Cependant l’arbre n’est pas tout à fait mort, car tous les ans il produit de nouvelles feuilles et de nouveaux bourgeons, en moindre quantité, il est vrai, qui subissent le même sort.

Recherchant, dans une assemblée de cultivateurs de Torrette, commune dont les trois quarts des oliviers sont infestés, des moyens de destruction de ce fléau, je proposai l’élaguement des premières branches infectées, et de suite un des plus riches propriétaires me conduisit dans son champs, où il me fit voir plusieurs arbres ou il m’avait laissé que le tronc ; ces troncs encore vivants, lors de l’ébranchement, était pour lors tout à fait secs ; de sorte qu’il paraît que les insectes ne trouvant plus de pâture sur les branches et les bourgeons, s’étaient jetés dans le cœur même de l’arbre : on me fit voir des arbres coupés exprès entièrement à fleur de terre dont les bourgeons qui avaient repoussé étaient déjà pareillement infectés.

Depuis combien de tems dure cette maladie ? Je n’en ai trouvé nulles traces dans les anciens mémoires du pays ; mais ces cultivateurs m’ont fait voir du terroir de la commune de Chateauneuf, un quartier appellé Bordina, qui en est attaqué depuis trente ans. Il y a des quartiers qui sont infectés depuis 13 à 14 ans, d’autres qui ne le sont que depuis 8 ans, d’autres, depuis 6, 4, 2 ans. La contagion ne fait pas de sauts mais elle va successivement d’un lieu à un autre ; on observe que la direction est du sud au nord ; elle attaque particulièrement les oliviers placés dans les terrains gras, humides, exposés aux brouillards, placés dans les bas fonds ou dans la conque des vallons ; elle va d’une commune à l’autre ; ainsi, par exemple, depuis un grand nombre d’années le terroir de Saint-Blaise avait ses arbres malades, peu à peu la maladie a gagné le canton confinant de Levens qui en est affligé en partie, depuis six ans, et qui n’avait jamais connu ce fléau.

Je dis la contagion, car cette galle des oliviers me paraît être une véritable affection contagieuse que le vent du midi, vent le plus dominant, comme on l’a déjà vu, propage d’un quartier à l’autre, en transportant soit les insectes tous métamorphosés, soit leurs œufs ; j’ai émis plusieurs fois le vœu, dans les réunions scientifiques ou d’autorités, qu’on proposa des prix pour faire des expériences tendant à détruire ces insectes qui minent de si près la propriété du département ; mais comment appliquer des remèdes à des forêts entières d’oliviers ? Il me semble que le plus court comme le plus sur moyen serait de se comporter ici, comme l’on fait dans les contagions des animaux ; d’interrompre toute communication entre le quartier malade et le quartier sain. Pour cela, aussitôt qu’on découvrirait des arbres qui commencent à être attaqués, on devrait les ébrancher tous immédiatement, et en bruler les branches dans des lieux écartés des oliviers sains ; cette mesure générale empêcherait vraisemblablement la propagation, au lieu des élaguemens partiels, et dont le bois gaté n’a pas été immédiatement brulé ne peuvent être d’aucune utilité, au milieu d’une infection générale. L’intérêt du cultivateur qui a toujours quelque espérance sur ses arbres malgré les leçons de l’expérience, peut s’opposer à cette mesure ; mais on lèverait cet obstacle, en engageant les voisins à se cottiser pour dédommager celui dont les arbres vont être sacrifiés pour le bien de tous.

Cette maladie disparaît-elle enfin naturellement ? J’avais d’abord été pour la négative, parce que dans mes premières recherches, aucun cultivateur n’avait pu m’assurer avoir jamais vu ces arbres guérir et reporter du fruit : mais dernièrement on m’a fait changer d’avis étant a Peglia, on m’a fait voir un quartier dit La Verne qui était naguère malade, depuis plus de 30 ans et qu’aucun ne se ressouvenait avoir vu port du fruit. Un autre quartier nommé Terris venait aussi d’être attaqué, et la désolation était grande : tout à coup en l’an VII, le quartier Laverna donna des signes de rétablissement, et à la récolte, les arbres étaient tellement chargés d’olives, pour leur première reproduction, qu’ils excitèrent la surprise de tous les habitants. Dix ans auparavant, le même effet avait eu lieu au quartier de Cognas, de la commune de Peglion, lequel aussi été malade pendant 30 ans, et en échange d’autres quartiers voisins que j’ai visité avaient gagné la maladie, étant déjà les uns dans un état à ne plus rien produire, et les autres produisant encore quelques olives. De sorte qu’on peut conclure que l’arbre ne périt jamais entièrement, et qu’après une certaine période, les insectes le quittent pour se porter ailleurs, ce qui exigerait vraiment des recherches suivies, auxquelles on n’a jamais songé.

Cette découverte nous apprend qu’on ne doit jamais déraciner les oliviers, quoique stériles : il est pourtant douloureux d’en perdre le fruit pendant un si grand nombre d’années ; c’est pourquoi on doit rechercher les moyens de prévenir cette maladie soit par ceux que j’ai proposés, soit autrement. J’ai encore observé dernièrement une autre maladie à ces arbres, dans le quartier de Guairaud près de Nice. C’est un lichen linereum qui les recouvre et en dévore la fève : mais les bons cultivateurs s’en débarrassent facilement, en raclant chaque année l’écorce de l’arbre endommagé. Ce n’est d’ailleurs que dans les quartiers gras et humides que cet accident arrive.
Un département couvert de tant d’oliviers annonce, au premier coup d’œil, une grande opulence. Cependant, d’après les accidents divers auxquels ces arbres sont sujets on trouve quelque vérité dans ce proverbe trivial de Nice que qui ne possède que des oliviers est toujours pauvre.
On ne laisse pas fermenter les olives, dans ce département comme on le fait dans divers endroits de la Provence, ce qui fait qu’on obtient beaucoup moins d’huile à la première pression, et ce qui fait aussi que l’huile de Nice conservant beaucoup plus de muqueux, a besoin d’être transvasée souvent pour qu’elle ne se rancisse pas. D’un autre côté, on obtient beaucoup plus de l’huile de 2ème pression appellée de ressanso.

Dès que le particulier a une suffisante quantité d’olives, c’est-à-dire une posita, comme on l’appelle ici, pour pouvoir en obtenir 40 à 46 kilogrammes (5 à 6 rubs) d’huile, il l’envoie au moulin. En attendant , il conserve les olives récoltées dans un magasin sec et aéré, ayant soin de les remuer souvent, ce qui ne passe pas le terme de deux à trois jours.
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Il y a dans le département, pour broyer les olives, 188 moulins, desquels 158 à eau et trente à sang. On appelle de ce nom des moulins que font tourner des mulets, bœufs ou vaches ; quoiqu’ils fassent moins de besogne que les premiers, on croit qu’ils la font mieux, parce que le mouvement de la meule est plus égal, au lieu que ceux à eau sont subordonnés à la quantité et à la force de la colonne d’eau qui arrive au moulin.

Le meunier va prendre, à ses frais, les olives chez le propriétaire ; il fournit tous les instrumens nécessaires à la confection de l’huile, il est tenu également de la porter à ses frais, chez le propriétaire ou chez l’acheteur, auquel cas il en retire 10 centimes par rub. Il n’a pour ses peines que le marc des olives, auquel les meuniers adroits savent encore faire rendre 194 kilogrammes (25 rubs) d’huile dite de recens et d’enfer sur 779 kilogrammes (100 rubs) de première huile que le propriétaire a déjà retiré. Cette profession de meunier pour l’huile est extrêmement lucrative, non seulement à cause des bénéfices honnêtes, mais encore par les fraudes multipliées qu’y s’y commettent. Les gens de cette profession, pour s’attirer des chalans ne manquent jamais de les prévenir par des présens considérables, en huile d’enfer, en fumier, en corvées, que le propriétaire éclairé sur ses vrais intérêts n’accepte jamais.

Il est quelques moulins où le propriétaire moyennant 50 centimes par setier d’olives, fait son huile et emporte tout, mais ils sont rares.

Le propriétaire préside lui-même à la confection de son huile et est le maître de la faire faire comme il l’entend. Il ne doit jamais l’abandonner ; cependant comme ce ne sont ordinairement que les métayers qui assistent à cette opération importante, ils se laissent facilement gagner par le meunier qui les invite à boire afin de les écarter : en attendant, ces garçons ont le temps de faire dans la pile divers mélanges soit avec de l’huile de qualité inférieure, soit avec de l’eau, etc., ce qui fait que plusieurs huiles qui seraient bonnes d’ailleurs sont souvent altérées.

Ce n’est pas l’usage dans ce département de faire de l’huile vierge, c’est-à-dire sans feu : toutes les huiles se font de la manière suivante : on met les olives dans une grand pille de pierre, autour de laquelle roule la meule. Lorsqu’elles sont bien écrasées, on les met dans des sacs de jonc qu’on appelle sportins. On les soumet à la presse, en leur jettant dessus, de temps en temps des grands flots d’eau bouillante, ce qui détermine l’huile à sortir plus vite et plus abondamment.

C’est là l’huile ordinaire, l’huile pour la table ; on la distingue en super fine, et mangeable ; ce qui ne dépend que de la qualité, et de l’état des olives, ainsi que de la propreté avec laquelle elle a été faite, est indépendamment des supercheries dont j’ai parlé, l’huile étant une substance propre à dissoudre beaucoup de corps, la moindre malpropreté qu’il y ait dans les instruments propres à la faire et à la contenir, lui donne un mauvais goût et de l’acreté, ce qui impose d’autant plus au propriétaire le devoir d’en surveiller la confection.

On retire ensuite deux sortes d’huiles, l’huile dite de recense et l’huile d’enfer. On appelle recenser, les opérations qu’on fait subir au marc pour en retirer le reste d’huile qu’il peut contenir. Pour cela, on le broye encore et on le pille dans des fosses en maçonnerie, placées l’une à la suite de l’autre, et se communiquant. On les remplit d’eau, dans laquelle le marc subit une espèce de fermentation, et se dépouille de son noyau. On ramasse avec de grandes pèles de bois l’huile qui surnage, on fait courir l’eau d’une fosse à l’autre en en ajoutant toujours de nouvelle ; enfin, on ramasse ce marc et on le fait bouillir dans de grandes chaudières pleines d’eau. Tout le muqueux et les calottes surnagent. On les ramasse et on les exprime. On laisse refroidir l’eau ; on en sépare toute l’huile, et on jette le reste de cette dissolution dans des fosses en maçonnerie séparées des premières.

Cette huile est beaucoup plus grasse et plus épaisse que la première, à laquelle on en ajoute souvent par supercherie ; elle sert aux savonneries, aux foulons etc., avec beaucoup plus d’avantage que celle là.

L’huile d’enfer, se recueille dans les fosses, où j’ai dit qu’on jette l’eau qui a servi pour l’huile de recens. On jette pareillement dans ces fosses toutes les eaux qui ont servi à la confection de l’huile, et à laver soit les instruments soit les outres. Il se produit à la longue une fermentation accompagnée d’une très mauvaise odeur, l’huile se dépouille de tout son muqueux, et paraît à la surface claire et limpide avec l’odeur et la saveur des huiles siccatives. On la ramasse, et on la vend pour l’éclairage, à quoi elle est plus propres que les autres parce qu’elle produit moins de charbon.

Le parenchime du marc est réduit en pains que les meuniers conservent pour faire bruler sous les chaudières. Les noyaux sont vendus pour le chauffage à 1 franc 50 centimes la charge d’ane.
Quarante litres (un settier) d’olives bien mures rend depuis 4 kilogrammes et ½ (15 livres) jusqu’à 6 ½ (21 livres) d’huile de première formation suivant les qualités.

Lorsqu’elles ont été piquées par le ver, à peine quarante litres en rendent-ils un kilogramme (4 livres), mais elles sont profitables pour le meunier, parce qu’elles donnent toujours beaucoup d’huile de recens.

Les olives encore vertes donnent une huile agréable pour quelques uns, parce qu’elle a le goût du fruit, mas en petite quantité, et qui ne se conserve pas.

Les marchands et propriétaires d’huile savent aussi donner cette petite amertume qui est le goût du fruit, en mettant infuser des feuilles d’olivier dans l’huile qu’ils veulent vendre ; ils masquent également la rancidité que l’huile a acquise, ou par une mauvaise tenue, ou par l’addition d’huile de recens, en battant leur huile avec du miel, ce qui l’adoucit effectivement pour le moment du marché, mais ce qui augmente encore plus dans la suite, sa rancidité.

Des citronniers, orangers et de leur fruit

Aussi le citronnier et l’oranger sont devenus indigènes dans ce département, l’oranger dans les campagnes de Nice, et le citronnier dans celles de Villefranche, Monaco, Roquebrune et Menton. On voit, il est vrai, dans les jardins de Nice quelques uns de ces derniers, mais on a soin de les tenir en espalier contre les murailles, les mieux exposées.

Du citronnier

Cet arbre est vraiment l’arbre toujours actif ; de toute l’année il ne cesse d’être décoré de fleurs et de fruits de différends âges ; les mois de brumaire, frimaire, nivose, pluviose et ventose sont cependant ceux où il en est le plus chargé. Il aime essentiellement la chaleur, qui lui est nécessaire pour le perfectionnement de son acide, de son huile essentielle et de son arôme. Car quoi qu’il puisse venir à Nice, moyennant quelques soins, il s’en faut de beaucoup que son fruit y acquierre toute sa perfection. J’ai fait l’expérience de tirer comparativement des citrons du jardin de l’école centrale et de ceux de Menton, l’acide et l’huile volatile ; l’acide des premiers était beaucoup moins agréable et plus long a se dépurer que celui des seconds. Pareillement, j’ai tiré très peu d’huile volatile des premiers, moins suave, plus chargée de muqueux qui la fait moisir à l’air, plus longue à s’épaissir par le contact de l’oxigène, que celle des seconds. Aussi les citrons de Menton se conservent-ils plus longtemps que ceux de Nice ; le bois et les feuilles des citronniers et orangers participent du même avantage, je les ai trouvés beaucoup plus parfumés dans le premier endroit que dans le second.

On cultive, dans ces contrées, neuf espèces de citronniers qui, ainsi que l’olivier, ne diffèrent l’un de l’autre, que par la forme des feuilles, la qualité et la grosseur du fruit, ce sont les suivantes :
1èrerement Le citron commun, nommé Begnet ou Limon fruit ovale, grosseur moyenne ; espèce le plus multipliée et la meilleure pour le jus.

2èmement Citron long, moins de jus.

3èmement Citron de Valence, à écorce épaisse, contenant beaucoup d’essence.

4èmement Limette, petit fruit d’un acide doux, agréable à manger.

5èmement Citron doux, appellé citron Portugal, grosseur moyenne, bon à manger.

6èmement Limon-poirette ; fait comme une poire, propre à confire, et contenant une essence très fine.

7èmement La Mela-rosa ; citron plat, à écorce épaisse, essence abondante et très suave, formant une très bonne confiture.

8èmement Le cedrat ou cedrat de Florence, contenant une essence exquise, et très bon à confire.

9èmement Le gros cedra, appellé Foncire, du poids de 1 kilogramme et demi, bon à confire, mais inférieur à l’autre.

La récolte des citrons se fait durant toute l’année. On en compte cependant trois principales, dont les deux premières qui ont lieu en hiver et au printemps s’appellent récoltes de la première et de la seconde fleur, et la troisième qui se fait en été, s’appelle verdaine à Menton. Dans les bonnes années, 400 individus sont occupés à 2 francs par jour, durant quatre à cinq mois de l’année, soit à cette récolte, soit aux travaux préparatoires du commerce des citrons qui consistent à les porter en magazin, à les trier, à les envelopper, et à les mettre en caisse.

Le papier dont on se sert pour envelopper les citrons, mérite une attention particulière ; ce fruit ne se conserve pas également dans toute sorte de papiers, il lui en faut qui ne le laisse pas transpirer, qui ne le sèche pas, qui n’absorbe pas facilement l’humide extérieur, et qui ne se déchire pas facilement. On trouve toutes ces propriétés dans un papier qu’on fabrique à Gênes, très uni, d’un gris-roux, ayant l’odeur du goudron ; les génois savent le préparer avec la filasse de vieux morceaux de câbles et autres cordages de navire, qui ne servent plus. Il est vraisemblable que le goudron dont il est imprégné lui donne la plupart de ses propriétés ; cependant l’on n’a pas encore réussi à l’imiter, dans le département, et malgré qu’il soit fort cher, à cause des douanes, les négotians en citrons sont forcés de lui donner la préférence sur tous les autres qu’on a essayé de lui substituer, et qu’ils auraient à meilleur prix.

On ôte l’écorce aux citrons de rebut, pour la faire sécher, et la vendre aux distillateurs. On exprime le parenchime pour en retirer l’acide en grand qu’on laisse dépurer et qu’on vend aux teinturiers, etc., mais il n’y a que quelques individus qui s’occupent de ces opérations.

De l’oranger

L’oranger fait l’ornement et la richesse de tous les jardins de Nice : on y en compte plusieurs variétés, dont seulement quelques unes sont le plus multipliées.

1èrement Orange, Portugal jaune, la plus répandue.

2èmement Orange rouge, également répandue.

3èmement Orange-citron, vulgairement citron, à Nice

4èmement Orange à grosse écorce, ayant peu de jus, et servant à confire.

5èmement Orange amère, bigarade, garnie de pointes ou cornes, au nombre de 2 à 3.

6èmement Orange amère unie, Céréotis.

7èmement Orange bergamotte, plus cultivée à Grasse.

8èmement Orange-chinois, fort petite écorce fine, ayant beaucoup d’essence, employé par les confiseurs.

10èmement Orange-pomme d’Adam, fruit jaune, d’une grosseur monstrueuse, à écorce très épaisse, ayant fort peu d’essence.

Les orangers fleurissent, comme nous l’avons déjà dit, en germinal et floréal ; ils ont ordinairement trois fois plus de fleurs qu’il ne leur en faut pour la fructification, lesquelles tombent d’elles-mêmes, si déjà on n’a secoué l’arbre. Cette abondante quantité de fleurs fait qu’on peut en tirer parti pour la distillation, sans nuire à la récolte du fruit. Il conviendrait sans doute de les cueillir à la main pour les avoir de meilleure qualité, mais les quantités qu’il faut en avoir obligent de se contenter de secouer l’arbre, ce qui ne lui nuit pas, en le faisant avec précaution pour que les fleurs aient toute leur essence. Il faut les cueillir dans un tems sec, et avant qu’elles aient été mouillées ; ne pas attendre qu’elles soient trop épanouies et les emploier fraîches, car leur blancheur éclatante est ternie au bout de quelques heures qu’elles ont été cueillies, et leur arome se dissipe très promptement. Au bout de trois jours d’entassement, elles passent à la fermentation putride et fournissent un excellent fumier dont beaucoup de cultivateurs se contentent pour fumer leurs orangers, lorsque la vente de ces fleurs n’a pas assez bon prix.

Indépendamment de l’eau distillée, on envoit encore la fleur d’orange, cueillie fraîchement et entassée dans des tonneaux avec un lit de sel et un lit de fleur, dans les contrées les plus reculées du Nord, où elle arrive, dit-on, parfaitement conservée. Les confiseurs en font des sucreries fort agréables.

Le prix commun de cette fleur, commune faite de 10 ans, est de 1 franc 50 centimes (le rub) par 7 kilogrammes 79 centikilogrammes. Celle de l’orange amère, qui est la plus estimée par son parfum, a toujours une valeur de plus de la moitié en sus.

On fait la récolte des oranges destinées à l’étranger en brumaire, frimaire et nivose, lorsqu’elles commencent à jaunir ; les oranges non encore mûres sont mises en caisse pour être envoyées dans le nord de la France et même dans la Baltique ; elles murissent en chemin et arrivent au point où elles doivent être. On continue d’en faire la récolte en pluviose ou ventose et ces fruits étant plus murs ne peuvent se conserver que trois à quatre mois, on n’en fait par conséquent des envois qu’à 50 ou 100 lieues de distance. On les enveloppe, ainsi que les citrons, avant de les encaisser, et l’on emploit à cet usage un papier croisette-mi blanc, fabriqué à Nice. Dès l’instant qu’ils sont formés, ces fruits sont communément achetés sur les arbres par ceux qui font ce négoce, à leur péril et risque ; on a un cercle de fer pour en mesurer la grosseur, et on les divise en trois cathégories, de mesure, médiocres, et de rebut.

Cueillir, mesurer, envelopper, encaisser, transporter sont des opérations qui occupent encore beaucoup de bras dans la saison de l’hiver, sans compter les fabriquants de caisse, qui sont fort nombreux.

On continue toute l’année de faire la récolte de la petite quantité d’oranges que le propriétaire laisse sur les arbres pour son usage ; mais lorsque l’arbre est en sève, il attire à lui tout le suc de ses fruits lesquels sont alors parfaitement insipides et presque à sec. Ils reprennent leur suc et redeviennent bons, lorsque l’arbre a perdu sa sève et que le travail de la végétation est finie ; ce qui prouve bien dans les végétaux comme dans les animeaux, une correspondance active entre le centre et la périphérie.

Pour établir une pépinière, on sème des pépins d’orange amère, ayant soin de les éclaircir, s’ils sont très épais, de labourer la terre, sarcler les herbes et élaguer les jeunes plantes. Un sauvageon de cette nature, placé en bonne terre et arrosable, est en état d’être greffer, au bout de cinq ans.
On le greffe en écusson (à taca) en prairial et l’on se sert indifféremment de la greffe d’orange, de limon, de limette, de melle-rose, de cédrat de Florence, etc.. sur le même franc, toutes réussissant également.

Commune faite, les plantes d’une pépinière sont en état d’être transplantées en haies pour la formation d’un jardin six ans après leur ensemencement ; elles se vendent, les unes sur les autres, 2 francs pièce.

On les arrache avec leurs mottes, et on les plante dedans un fossez qui doit avoir au moins un demi mètre de profondeur, en y ajoutant un peu de fumier. On ne met guère plus d’un mètre de distance entre un oranger et l’autre, surtout dans les jardins uniquement destinés à ces arbres ; mais on met au moins deux mètres de distance entre chaque limonier, on plante les uns et les autres, à grand vent, en espalier, ou à demi vent.

Il faut au moins vingt ans à ces arbres pour qu’ils donnent toute la récolte dont ils sont susceptibles, moyennant encore d’être dans un terrain propice et bien cultivé. Ils vivent des siècles, et lorsqu’ils sont vieux, leur bois est d’un excellent usage pour en faire des meubles.

Les terrains légers et un peu sablonneux sont les plus propres à l’oranger, limonier et autres de cette nature, connus dans le pays sous le titre général d’agrumes ; ils produisent cependant aussi beaucoup dans les terres fortes, mais le fruit y est de qualité inférieure.

Ils veulent être arrosés, et quoiqu’on en voie de médiocrement beaux, dans les terrains où ils ne le sont pas, je présume, d’après l’inspection de quelques endroits, que c’est parce que leurs racines plongent dans un terrain inférieurement humide.

On doit les élaguer tous les ans deux fois, en ventose et en brumaire, pour leur enlever les branches gourmandes appellées succarelles, en labourer et fumer la terre, au moins une fois chaque année, ils aiment comme je l’ai déjà dit, l’engrais de nature animale.

Les arbres de cette espèce sont tous renfermés dans des enceintes murées, qu’on appelle jardins ; ces jardins ont pour leur arrosage des grands puits avec des pompes à chapelet, qui versent l’eau dans des réservoirs qui aboutissent à des canaux en maçonnerie dont la construction et l’entretien sont fort dispendieux. Ces puits s’appellent des pousaraques, et ce sont des mulets qui en font le service.

L’oranger vient plus gros et produit plus de fruit que le limonier, mais il a le désavantage de communiquer une amertume très désagréable à tout le jardinage qu’on y cultive auprès , ce qui fait que le terrain qui est à son entour est ordinairement condamné à une nullité parfaite.

Produit des légumes

Un jardin d’orangers ou de citronniers, produit plus que tout autre genre de culture. 15 perches environ (1 setterée) de terre contient ordinairement cent plantes, à vent ou en espalier ; un seul oranger produit souvent jusuqu’à quatre mille oranges lesquelles j’ai vu vendre étant de mesure, jusqu’à 30 francs le mille ce qui donne 120 francs de production pour un seul arbre. Cette quantité pourtant est rare, mais il est commun de trouver des arbres qui donnent deux mille oranges.
Cependant comme la récolte des orangers est alternative et que ces fruits n’ont pas tous le même prix pour la qualité et la grosseur, on estime qu’en fesant une commune de 10 années, on peut mettre à trente mille fruits la production annuelle de cent orangers ou cent citronniers ; à 16 francs le mille des oranges ainsi que celui des citrons, ce qui donne 480 francs de produit annuel pour 15 perches d’orangers et 4 citronniers.

Frais de culture pour 15 perches 44 m²
pour labour : 8 journées à 2 francs chaque 16francs
Pour élaguer 4 journées à 2 francs 50 centimes 10
Pour arroser 24
___________
Total 86 francs

Accidents et maladies

 

Ces arbres sont très sensibles au froid, et plus encore les citronniers que les orangers ; les premiers ont presque tous péri au commencement du 18ème siècle et, en 25 ans, les branches des orangers et citronniers de tout le département ont gelé trois fois. Il y a même un quartier de la campagne de Nice, appellé Roccabiliéra, ou les troncs même furent gelés, il y a environ 30 ans. Le fruit est puis encore plus délicat ; il suffit d’une gelée blanche, après une légère pluie, pour le voir entièrement perdu sur l’arbre comme cela est arrivé en partie en l’an VIII.

Indépendamment des maladies communes à tous les arbres fruitiers, les orangers et citronniers sont très sujets à être attaqué par le Cocus hemisphéridus (maladie qu’on nomme aussi morphée, comme pour les oliviers). Cet insecte reste toute l’année sur l’arbre, suçant tout l’humide des fruits et des feuilles. Il vit en famille, est fort paresseux et multiplie à l’infini ; branches, feuilles et fruits, tout est recouvert d’une poussière noire, qui est probablement ou ses œufs, ou ses excrémens. Le grand nombre de cultivateurs ignorans et superstitieux, ne fait rien pour le détruire, parce qu’il attribue la morphée ou à l’air, ou à l’engrais, ou à telle autre cause aussi peu raisonnable ; mais il est très facile d’en venir à bout, parce que les arbres sont bas, clos de murs, et que d’ailleurs, je ne crois pas que cet insecte, s’il devient ailé, aille fort loin. J’ai vu un jardin, sous la direction du citoyen Vay, qui en était totalement couvert ; cet agriculteur parvint à les détruire, en une seule campagne et à faire changer de face aux arbres, en les faisant simplement frotter avec des chiffons grossiers, et en écrasant par tous les moyens possibles, les insectes abrités dans les fentes, ou le chiffon ne pouvait pas pénétrer.

On parvient quelquefois à préserver ces arbres de l’action de la gelée blanche qui a lieu sur le matin, en mettant à propos le feu à des fagots de paille distribués dans les intervalles.

 

Du carroubier

Le carroubier, Ceratonia siliqua, est le troisième arbre indigène du département, ami des lieux incultes, produisant toujours du fruit, et n’exigeant presque aucune culture, cet arbre est extrêmement précieux et mériterait d’être beaucoup plus multiplié qu’il ne l’est.

Il y en a de deux espèces, le sauvage et le cultivé ; ce dernier présente trois variétés, relativement au fruit ; 1èrement gousse longue, contenant 5 à 6 semences, 2èmement gousse courte mais large et épaisse, contenant 2 à 3 semences, 3èmement gousse courte et très grêle.

Cet arbre vient très haut, jette beaucoup de branches, et ses feuilles alternés subsistent tout l’hiver. Il porte son fruit en grappe, à l’insertion des branches au tronc, ou à la principale tige ; ce fruit mûrit en même tems que l’arbre fleurit en fructidor, et on le récolte en vendemiaire.
Le bois du carroubier est très dur, cependant il est sujet aux vers et aux rats, lorsqu’il est sur pied ; il est de couleur rouge et blanc comme le bois de ro à fibres droites et très serrées ; on en fait des meubles qui sont d’abord fort beaux, mais de peu de durée parce que ce bois à la propriété particulière de s’effleurer à l’air dès qu’il est travaillé.

Le carroubier craint l’humide ; il veut les interstices des rochers, l’aspect de la mer, les vents d’est et du sud : il n’est pourtant pas absolument nécessaire qu’il soit sur le rivage maritime, car j’en ai vu très éloigné, dans la campagne de Nice, qui ont fort bien réussi, parce qu’il y a les deux conditions, la chaleur et des rochers.

Il se sème de lui-même, et on greffe le sauvageon à sept ou huit ans. A Eze et Roquebrune, où l’on tire un grand parti des carroubiers, on a soin de remuer un peu la terre tous les ans, ils en portent des fruits plus beaux et plus pulpeux.

Cet arbre vit longtemps, il est susceptible de porter dans les terroirs dont je viens de parler, jusqu’à (14 quintaux) 654 kilogrammes de fruits par individu ; le terme moyen est de 420 à 467 kilogrammes (9 à 10 quintaux). Mais pour en produire cette quantité, il faut qu’il ait au moins 50 ans ; deux ans après la greffe, il commence à en produire quelques livres, et ce n’est qu’à 30 ans qu’il en produit (3 à 4 quintaux) 140 à 186 kilogrammes.

Ce fruit est excellent pour nourrir et engraisser le gros bétail ; il est même fort bon pour les hommes, soit cru, soit séché au four ; des peuplades entières s’en nourrissent, dans la Sicile, la Pouille et la Calabre ; dans le tems de mes voyages, j’en ai vécu pendant 3 jours faute d’autre aliment, sans aucune incommodité. Durant le dernier siège de Gênes, les carroubes ont été d’une grande ressource ; on les a vendu jusqu’à 3 francs par 7 kilogrammes, 8 hectogrammes (le rub), en l’an X je les ai vu vendre 1 franc par 7 kilogrammes 8 hectogrammes.

Des figuiers, chataigners et autres arbres

Du figuier

Le figuier est un arbre très multiplié dans ce département ; on ne manque jamais d’en mettre lorsqu’on plante la vigne ; il est des territoires très étendus, tel que celui de Sospello, où cet arbre couvre tous les espaces qui ne sont pas occupés par l’olivier.

C’est que son fruit desséché est d’une grande ressource pour les habitans ; il sert d’aliment à un grand nombre d’individus cultivateurs pour qui le pain est rare, en même temps qu’il nourrit et engraisse les bestiaux, durant la saison de l’hiver ; aussi en cultive-t-on plusieurs espèces dont les meilleures sont réservées pour l’homme et les inférieures pour les animaux.

On m’en a désigné vingt et plus d’espèces, toutes mangeables dont quelques unes seulement me sont connues, et dont je n’ai trouvé la description des autres, ni dans Garides, ni dans l’excellent mémoire sur le figuier de monsieur Bernard. Je vais les nommer, en terme du pays, décrivant celle que je connais :
Figues-fleurs, mûres en prairial et messidor.
La Daucueire, figue brune, grosse, allongée, hative
Coucourellos, Brunos des Provençaux.
L’Abicon, idem en Provence, figue noire ou violette, longue, grosse, douceâtre et désagréable.
La Bregliasca
Lo Col de dame, figues de fructidor et vendemiaire
L’Impériau, figues blanches, presque rondes, miellées analogues à celles qu’on connaît en Provence sous le nom de figues de Versailles.
La Bellona, Bellonnos, en Provence, grosse figue violette sur un fond verdâtre, presque ronde, applatie de sa partie supérieure, dont la peau est déchirée, et relevée de nervures saillantes , excellente à manger et à sécher.
La Bernissema, Barnissenquos, en Provence, figue violette, ronde à la partie supérieure, et dont l’enveloppe se rétrécit ensuite subitement, fort rouge en dedans, penchée sur son pédicule lorsqu’elle est mure. Excellente.
La Bernissotta, Barnissotos en Provence, figue applatie d’un violet foncé, et dont la peau est parsemée de petits ronds blancs. Excellente.
La Verdale, Verdalos en Provence, figue ronde d’un violet foncé, rouge en dedans, avec une peau épaisse et peu sujette à se crevasser. Assez estimée.
La Mussega, très répandue à Sospello, figue grise verdâtre, ovale, assez bonne, et assez grosse.
La Franciscana, grosse figue grise, ovale, applatie, à peau déchirée. Excellente peut-être la même que celle dite de Grasse.
La Negretta, Négrounos en Provence, figues très répandues, petite, violette-foncée, assez rouge dedans, mauvaise fraiche, on la fait sécher pour les animaux.
La Roubauda
La Cagliana
La Merlenca
La Sairole
Lo Caravanquin
La Ronlandina
La Poucholuda
La Saraine, cette figue dont on fait beaucoup cas, paraît analogue à celle qu’on nomme Longues marseillaises ; elle est longue, blanche en dehors, et assez rouge en dedans ; fort bonne à manger et pour sécher.

On cultive au vallon de Louda une petite figue blanche, ronde, à long pédicule, excellente à manger et à sécher, qui me paraît être la même que la figue marseillaise.
Outre ces espèces, il y a puis un grand nombre de variétés, quant à la couleur ; indépendamment que la plupart de ces figuiers donnent du fruit deux fois l’année.

Comme les bonnes figues sont très sujettes à couler, à cause de la fréquence des brouillards, on cultive davantage les figues communes, qui résistent plus, et qui sont plus abondantes.
Je n’ai pas découvert que le caprifiguer de Pline existat dans ce département ; je crois cependant qu’il serait utile de l’y transporter de quelques unes des îles de la Grèce, pour établir la caprification parmi les figuiers les plus communs ; car, comme on les cultive particulièrement pour nourriture d’hiver des animaux, à défaut de fourrages, ce serait un grand avantage pour le cultivateur de faire trois récoltes abondantes de figues.

On a soin tous les ans de remuer la terre autour du figuier, et de l’élaguer de ses branches inutiles ; on a l’expérience qu’il en produit davantage.

Cet arbre est recouvert dans les bas fonds d’un kermés qui lui est particulier et qui le dévore ; les cultivateurs y remédient en coupant les branches qui en sont le plus chargées, mais ils feraient mieux encore de les frotter avec un linge rude, comme nous l’avons dit pour l’oranger.
La figue est très sujette à avoir des vers, surtout en automne, et quand le temps est pluvieux et comme on la fait sécher au soleil, sur des claies, ce qui exige plusieurs jours ; elle se pourrit très facilement. Le cultivateur remédierait à la perte qu’il fait alors, si lorsque sa figue est piquée, et dans un tems pluvieux, il la fesait dessécher au four, ce qui abrégerait l’opération, et ferait périr les insectes. La figue ainsi desséchée est, il est vrai, moins agréable que l’autre, mais elle est fort bonne pour les animaux.

Les figues sèches se vendent à mesure, et elles se consomment toutes dans le département.

Du châtaignier

Le châtaignier dont le fruit économise aussi le pain à l’habitant des montagnes de ce département, est un arbre qui n’y est n’y assez répandu, ni assez soigné ; il y en a de trois espèces dont je ne trouve nulle part la description chez les botanistes, car elles n’appartiennent ni au sauvage, ni au marronnier, ni au chataignier nain. Tous ces arbres sont très hauts, et on ne les distingue que par la grosseur de leurs fruits.

On nomme ces trois espèces, Temporivos, Scirole ou Rascas et Sciri. La chataigne Temporivos est la grosse ; il s’en faut pourtant de beaucoup qu’elle s’approche du marron qu’on recueille dans le Dauphiné et le Vivarais ; après vient la Scirole, puis la Sciri qui est la plus petite de toutes et la plus répandue.

La vallée de la Visubie est la contrée de ce département où l’on donne le plus de soins aux châtaigniers. On y a appris à greffer les sauvageons en Temporivos ou en Scirole dès qu’ils sont assez forts pour supporter le poids d’un homme. Chaque année, en germinal ou en vendemiaire, on élague les arbres, on remue la terre qui est au pied, et on y met un peu de fumier de vache. Presque partout ailleurs, on abandonne ces arbres à la nature, et ils ne produisent que de très petites chataignes.

Le chataignier craint le vent du sud qui souffle en fructidor et qui fait tomber son fruit. Le temporivos est plus exposé à cet accident que les autres, ce qui fait que malgré sa qualité supérieure, on lui préfère souvent pour la culture les autres espèces.

Beaucoup de terrains incultes et dénués de bois pourraient servir à la culture du chataignier ; toute la montagne de Brouis, par exemple, et les montagnes adjacentes, aux environs de Breglio et de Sospello, pourraient être recouvertes de ces arbres, d’autant plus que quelques uns qui s’y trouvent par hasard y viennent très bien. Les mêmes plantations devraient avoir lieu dans la vallée de la Nervia, sur ces collines décharnées, et dans les terroirs des communes situées entre le Var et l’Estéron, dont la majeure partie reste entièrement inculte, et dont les habitants récoltent à peine de grains pour deux mois de l’année.

En fesant de nouvelles plantations, il ne faut pas négliger celles qui existent ; il convient de greffer tous les arbres qui en sont susceptibles, et de les greffer avec de belles espèces ; on pourrait espérer d’avoir d’aussi beaux marrons dans la vallée de la Visubie que dans le département de l’Isère, de l’Aveiron et des Vosges, puisque le climat est à peu de chose près le même. Ce serait alors une nouvelle production à exporter, au lieu qu’aujourd’hui ce sont les montagnes du Piémont et de Ligurie qui sont en possession de fournir des chataignes à toute la cote maritime et même Nice.

Noyers et amandiers

Les noyers et amandiers sont peu cultivés dans la campagne de Nice, mais ils le sont assez dans le haut département, où l’olivier commence à végéter avec difficulté. Il y a beaucoup de noyers dans la vallée d’Entraunes, qui produisent peu, depuis quelques années à cause du froid ; il y en a considérablement dans la vallée de Guilleaumes, au Pujet, et tout le long de la Rodoule. Ils servent à fournir de l’huile aux habitants de ces hauteurs, lesquels en font autant de cas que de l’huile d’olives, à tel point, (ce que je n’aurai pu croire, si je ne m’en étais assuré) que le prix de ces deux huiles est absolument le même, et qu’il est indifférent dans les emprunts, qu’on rende de l’huile d’olives ou de l’huile de noix. Ce qui ne l’est pourtant pas pour le voyageur dont le palais est un peu délicat.

Meuriers et capriers

Les meuriers viennent partout. Dans le département avant la guerre, toutes les communes élevaient des vers à soie ; la soie était même plus belle dans les régions un peu froides ; dans chaque vallée, il y avait une ou deux filatures. Ce genre d’industrie ayant été négligé pendant la Révolution, on trouve à peine aujourd’hui le tiers des meuriers qui existaient il y a 10 ans. Cet objet mérite toute l’attention de l’administration.

J’en dirai autant des capriers, Capparis spinosa. Dans toute la côte maritime du département, on fait un grand usage de capres, qu’on fait venir des départements du Var et des Bouches du Rhône ; cependant le caprier aimant singulièrement les murs à secs, et y ayant bien peu de département où il y en ait autant comme dans celui-ci, il est surprenant qu’on ait négligé la culture de cette plante, qui loin de nuire aux murailles, paraît au contraire les soutenir. Il est à désirer qu’on commence à la multiplier, nul doute qu’elle ne réussisse, et qu’elle ne présente dans peu d’années une nouvelle ressource au cultivateur, qui le dédomagera, au moins en partie, des dépenses considérables que lui occasionnent les bergiés.